Le grésillement d’un néon défectueux illuminait faiblement l’atelier de Léonie. L’air était saturé d’une odeur de plantes séchées, un mélange apaisant de camomille et de menthe poivrée, mêlé à une pointe amère d’aconit. La petite pièce était encombrée de bocaux, de livres anciens et de pots contenant des plantes aux formes étranges. C’était son sanctuaire, le cœur de son travail, et parfois même de sa vie.
Léonie ajusta ses lunettes et se pencha sur son bureau, où un mortier et un pilon reposaient à côté d’un tas de feuilles vert sombre. Ses mains étaient sûres, précises, comme si elles dansaient sur un rythme qu’elle seule entendait.
— Encore une infusion pour soigner les douleurs articulaires, murmura-t-elle, écrivant méticuleusement la recette sur un carnet déjà rempli de notes.
Elle avait toujours aimé les plantes. Depuis qu’elle était enfant, elles lui avaient semblé magiques : capables de soigner, de calmer, mais aussi de blesser et de tuer. C’était cette dualité qui l’avait fascinée, cette frontière fine entre remède et poison.
Un coup frappé à la porte interrompit son travail.
— Entrez, lança-t-elle en retirant ses lunettes.
Un homme entra, un air désespéré sur le visage. Il portait dans ses bras une femme inconsciente, son teint pâle comme de la cire.
— Madame Léonie, s’il vous plaît, aidez-nous. Elle… elle a mangé quelque chose de mauvais.
Léonie se redressa immédiatement, ses instincts prenant le dessus.
— Posez-la ici. Qu’est-ce qu’elle a mangé ?
— Des champignons qu’on a trouvés dans la forêt, répondit-il, sa voix tremblante.
Léonie fronça les sourcils. Des champignons. Cela pouvait être tout et n’importe quoi, mais les symptômes étaient clairs : respiration ralentie, sueurs froides, des lèvres légèrement bleutées. Amatoxine, pensa-t-elle, l’un des poisons fongiques les plus mortels.
Elle se précipita vers une étagère, attrapant un flacon d’un liquide brunâtre qu’elle avait préparé des semaines auparavant. C’était un antidote expérimental, un mélange de charbon actif et d’extraits végétaux qu’elle avait perfectionné à force d’essais.
— Faites-lui boire ça. Maintenant.
L’homme obéit, versant le contenu du flacon dans la bouche de la femme. Les minutes qui suivirent semblèrent une éternité. Léonie surveillait la respiration de la femme, guettant le moindre signe d’amélioration.
Enfin, un souffle plus profond. Puis un gémissement faible.
L’homme éclata en sanglots.
— Vous l’avez sauvée… Je ne sais pas comment vous remercier.
Léonie esquissa un sourire fatigué.
— Allez à l’hôpital pour le suivre. Ça devrait suffire pour maintenant, mais ne prenez aucun risque.
Alors que l’homme repartait avec sa femme, Léonie se laissa tomber sur une chaise, son esprit fatigué, mais satisfait. C’était sa vie : soigner, aider, sauver. Mais à chaque fois qu’elle parvenait à arracher quelqu’un aux griffes de la mort, une pensée sombre l’effleurait : Et si je n’avais pas été là ?
...****************...
Quand Léonie rouvrit les yeux, ce n’était plus dans son atelier, mais dans un lit à baldaquin entouré de draps soyeux. Le plafond était orné de fresques peintes, et une lumière douce filtrait à travers de lourds rideaux.
Son corps lui semblait différent. Elle se redressa, les sourcils froncés, et se dirigea vers un miroir. Ce qu’elle vit la glaça. Des souvenirs inconnus lui affluèrent soudainement en mémoire, l’éclairant sur ce qui s’était passé : elle était désormais Selene Arcaea, la duchesse gâtée et arrogante d’un jeu otome qu’elle connaissait bien.
Léonie inspira profondément, fixant son nouveau visage : des cheveux noirs lustrés, des yeux violets perçants. Elle savait exactement qui était Selene. Non pas une méchante machiavélique ou cruelle, mais une princesse gâtée, rendue amère par son envie et son égoïsme, qui est morte très rapidement.
— Si je ne veux pas finir comme elle dans l’histoire originale, il suffit d’être gentille, murmura-t-elle pour se rassurer.
Un bruit sec derrière elle interrompit ses pensées. Elle se retourna pour voir un homme en costume noir, immobile près de la porte.
— Mademoiselle Selene, dit-il d’un ton courtois mais ferme, le duc, votre père, vous demande dans son bureau immédiatement.
— Mon père ? fit-elle instinctivement.
Mais la mémoire de Selene lui rappela pourquoi : le mariage arrangé. Dans le jeu, ce moment était le début de sa descente aux enfers. Une fois l'apparition de l'héroïne faite, son fiancé rompera les fiançailles et Selene par caprice se collera au prince héritier dans l'espoir de prouver à son fiancé qu'elle pouvait trouver mieux. Cette fille n'était qu'une idiote sans cervelle qui finira puni par le prince dégoûté de son insistance.
Elle déglutit, s’efforçant de masquer sa nervosité.
— Très bien, répondit-elle en se levant, gardant un masque de calme.
Elle suivit le majordome à travers de longs couloirs, passant devant des peintures et des tapisseries somptueuses. Son cœur battait à tout rompre. Elle devait à tout prix éviter de reproduire les erreurs de Selene.
Quand elle entra dans le bureau, son "père" se tenait derrière un large bureau en acajou, un homme imposant au regard sévère.
— Selene, dit-il d’un ton grave. Je suppose que tu sais pourquoi je t’ai convoquée.
Elle hocha lentement la tête.
— Oui, père.
— Bien. Je ne vais pas tourner autour du pot. La famille du marquis de Valmont a proposé une alliance à travers un mariage avec son fils. Une opportunité que nous ne pouvons pas refuser.
Léonie se força à respirer calmement. Elle savait mieux que personne que ce mariage n'était pas une bonne idée.
— Je comprends, père, répondit-elle d’un ton respectueux. Si c’est pour le bien de notre famille, je suis prête mais je ne veux pas forcer une personne qui n'éprouve aucun sentiment à mon égard.
Un silence stupéfait emplit la pièce. Le duc leva un sourcil, visiblement surpris par sa réponse.
— Je pensais que tu appréciais ce garçon ?
Léonie lui adressa un sourire sincère, cherchant à rassurer son "père".
— J’ai réfléchi. J'aimerai avec votre accord montrer ma propre force et ne compter sur personne d'autre.
Le regard du duc s’adoucit légèrement, même s’il restait méfiant.
— Bien. Dans ce cas, prépare-toi. Je remplirai ton formulaire d'inscription à l'académie.
Léonie hocha la tête et quitta la pièce, ses pensées tourbillonnant. Elle avait franchi une première étape. Si elle continuait ainsi, elle pourrait peut-être vraiment changer le cours de l’histoire. Il lui suffisait d'éviter tous les potentiels intérêts amoureux du jeu, a commencé par son fiancé et le prince.
Léonie ajusta une dernière fois ses lunettes à monture fine, ces précieuses lunettes magiques offertes par Marcus, son frère aîné. Grâce à elles, ses cheveux noirs de jais et ses yeux violets distinctifs de la famille Arcaea avaient été remplacés par des mèches châtain clair et des iris gris ternes. Une apparence banale qui la protégerait des regards et des jugements.
C’est parfait. Avec ces lunettes et ma fausse identité, personne ne saura que je suis Selene.
Elle inspira profondément avant de franchir les grandes portes de l’Académie d’Hélios. La cour centrale bourdonnait d’activité. Partout autour d’elle, des élèves en uniforme discutaient joyeusement. Cependant, elle ne tarda pas à capter des murmures qui lui firent froid dans le dos.
— Tu as entendu ? Selene Arcaea s’est inscrite cette année.
— Cette arrogante ? Elle va sûrement se ridiculiser.
— Ce serait bien dans son style. Une incapable qui ne fait que dépenser l’argent de son père.
Léonie détourna discrètement le regard et pressa le pas. Ces mots lui rappelaient à quel point Selene, dans le jeu, était perçue comme une figure tragique et méprisable.
Ils ne savent pas que Selene a changé. Mais peut-être est-ce mieux ainsi. Si je pouvais rester anonyme, je pourrais vraiment prendre un nouveau départ.
...****************...
La bibliothèque était son objectif. Cet endroit, rarement fréquenté dans le jeu, avait toujours semblé paisible et sûr. En s’y rendant, elle passa devant des couloirs magnifiquement ornés, des fenêtres à vitraux laissant passer une lumière douce, et des tapisseries qui racontaient les grands exploits des héros du passé.
Quand elle poussa enfin les portes massives de la bibliothèque, elle fut accueillie par une ambiance feutrée. Les étagères massives, débordantes de livres anciens, formaient un labyrinthe. Des sphères lumineuses flottaient au-dessus des tables, baignant l’endroit d’une lueur dorée.
C’est parfait.
Elle s’approcha timidement du bibliothécaire, un vieil homme à l’air sévère mais bienveillant.
— Je cherche des livres sur l’histoire, les sciences naturelles et la magie, dit-elle en baissant légèrement la voix.
Il hocha la tête, lui indiquant une section à l’arrière.
— Vous trouverez ce que vous cherchez là-bas. Prenez tout votre temps.
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Léonie passa des heures à lire, d’abord des livres d’histoire pour comprendre la chronologie de ce monde. Elle découvrit rapidement que les Arcaea étaient une famille ancienne, respectée autrefois, mais que leur réputation avait décliné. Les alliances politiques, les scandales… Tout cela résonnait étrangement avec l’histoire du jeu qu’elle connaissait.
Mais c’est dans les ouvrages de sciences et de magie qu’elle trouva une découverte encore plus fascinante. En feuilletant un épais grimoire sur les plantes magiques, elle remarqua quelque chose d’étrange.
Ces plantes ressemblent énormément à celles de mon monde. Elles ont les mêmes formes, parfois les mêmes noms, mais ici, elles ne sont classées que dans une seule catégorie : remède ou poison.
Elle fronça les sourcils. Dans son monde, elle avait appris que la frontière entre remède et poison était bien plus floue. Une plante toxique pouvait devenir un antidote ou un traitement efficace si elle était utilisée correctement, comme la digitaline, un poison cardiaque utilisé pour traiter certaines maladies du cœur.
Elle poursuivit sa lecture, de plus en plus perplexe. Les textes semblaient catégoriques. Les propriétés des plantes étaient rigides, figées. Les gens de ce monde ne semblaient pas conscients du potentiel d’un mélange subtil, d’une transformation chimique ou même d’une simple modification de dosage.
Ils ne comprennent pas. Ils pensent qu’une plante est soit bénéfique, soit mortelle, sans se rendre compte qu’un poison peut sauver des vies entre les bonnes mains.
En continuant, elle tomba sur un chapitre dédié à une plante appelée Solis Vitae, une fleur dorée très prisée pour ses propriétés curatives. Selon les textes, cette plante était exclusivement utilisée pour soigner les blessures graves, mais Léonie reconnut immédiatement la fleur comme étant similaire à une espèce de son monde, le millepertuis.
Dans son monde, cette plante pouvait être utilisée pour apaiser les douleurs et les inflammations, mais elle devenait dangereuse lorsqu’elle interagissait avec certains médicaments.
Ils ne savent pas. Personne ici ne semble avoir envisagé de tester les limites de ces plantes. Peut-être que je pourrais faire quelque chose avec ce savoir.
Elle nota soigneusement ses observations dans un carnet qu’elle avait emporté, griffonnant des idées et des recettes potentielles.
Absorbée par ses lectures, Léonie ne remarqua pas les heures passer. Lorsqu’elle releva enfin la tête, les sphères lumineuses avaient diminué en intensité, signalant la fin de la journée.
Un bruit de pas derrière elle la fit sursauter. Le bibliothécaire s’approchait doucement.
— Vous êtes encore là ? demanda-t-il. La bibliothèque va fermer pour la nuit.
Elle referma précipitamment son carnet, gênée.
— Désolée, je n’ai pas vu le temps passer.
Le vieil homme lui sourit légèrement.
— Cela arrive souvent ici. Vous êtes passionnée, c’est rare de nos jours. Mais prenez soin de vous. La connaissance est précieuse, mais elle ne remplace pas un bon repas et une bonne nuit de sommeil.
Elle hocha la tête, touchée par sa gentillesse et rassembla ses affaires.
...****************...
Le lendemain matin, Léonie se leva tôt, déterminée à reprendre ses recherches.
Si je continue à explorer les propriétés des plantes ici, je pourrai peut-être comprendre leur vraie utilité.
Alors qu’elle s’installait à une table proche des sections dédiées aux plantes et à la magie, elle sentit un regard pesant. Relevant discrètement la tête, elle aperçut un jeune homme assis à quelques tables de distance, plongé dans une pile de livres. Son allure élégante et son air concentré lui rappela immédiatement qui il était : Cédric Alaric.
Dans le jeu, Cédric était connu pour sa maîtrise des potions et pour être l’un des élèves les plus talentueux de l’Académie. Mais ce qui marquait surtout son personnage, c’était son dévouement à sa petite sœur malade, une quête qui le poussait à rechercher sans relâche un remède pour la guérir.
J’avais complètement oublié qu’il venait souvent ici avant que Rosa ne le sauve. Il est encore au tout début de son arc narratif.
Léonie, décidée à éviter tout contact, s’installa à bonne distance et se replongea dans ses livres. Mais à la périphérie de sa vision, un mouvement attira son attention.
Virevoltant autour de Cédric, une petite créature à l’apparence étrange semblait s’amuser à lui compliquer la tâche. De la taille d’une main, elle avait des ailes translucides, un corps verdoyant rappelant une tige de plante, et des cheveux ressemblant à de fines feuilles.
Qu’est-ce que… ?
Léonie plissa les yeux. Elle ne se souvenait pas d’avoir vu une telle créature dans le jeu. Pourtant, en l’observant de plus près, elle comprit. Cette chose ressemblait étrangement à une représentation animée d’une plante bien connue pour provoquer des troubles du sommeil : l’herbe de l’angoisse nocturne.
Cédric, absorbé dans ses recherches, semblait totalement inconscient de la présence de la petite créature. Celle-ci, en revanche, semblait très consciente de lui. Elle le frappait gentiment de ses minuscules poings sur la joue, tirait ses cheveux, et tapotait ses livres, comme pour attirer son attention.
Malgré elle, Léonie laissa échapper un petit rire.
C’était un son discret, presque inaudible, mais suffisamment fort pour que Cédric lève soudainement les yeux vers elle. Leurs regards se croisèrent, et Léonie sentit son cœur s’accélérer.
Elle détourna rapidement les yeux, feignant de se replonger dans son livre. Mais l’échange avait suffi à éveiller la curiosité de Cédric. Il l’observa un moment avant de retourner à ses lectures.
Gênée et sentant que la situation devenait trop risquée, Léonie referma son livre et se leva précipitamment. Je reviendrai plus tard, quand il ne sera plus là.
...****************...
De retour dans sa chambre, Léonie tenta de chasser la scène de son esprit. Mais ses pensées revenaient sans cesse à la petite créature.
Pourquoi était-elle là ? Et pourquoi Cédric semblait-il incapable de la voir ?
Son regard dériva vers les fleurs qu’elle avait installées à sa fenêtre dès son arrivée. Elles semblaient déjà revivre, leurs couleurs plus vives et leurs pétales plus fermes. Cela l’apaisa légèrement.
Elle cueillit un petit brin de lavande, le glissa dans un sachet qu’elle avait apporté avec elle, et le fourra dans sa poche. L’arôme doux et familier lui apportait toujours un sentiment de réconfort.
...****************...
Quelques heures plus tard, convaincue que Cédric aurait quitté la bibliothèque, Léonie y retourna. Mais en entrant, elle le vit à la même place, la tête posée sur ses bras croisés, profondément endormi.
Des livres étaient encore éparpillés devant lui, et la petite créature était toujours là. Mais cette fois, elle semblait moins agitée. Elle flottait doucement autour de Cédric, inspectant ses traits endormis, avant de tourner son attention vers Léonie.
Leur regard se croisa, et Léonie eut un frisson. La créature semblait étrangement consciente, bien plus qu’un simple esprit de plante. Elle la fixa un moment, puis, dans un mouvement brusque, se précipita vers elle.
Avant que Léonie ne puisse réagir, la créature se glissa dans sa poche et commença à tirer le sachet de lavande.
— Sérieusement ? murmura-t-elle, agacée.
La créature semblait fascinée par l’arôme et ne semblait pas vouloir lâcher prise. Léonie, exaspérée, sortit le sachet et le posa doucement sur la table près de Cédric. La petite chose virevolta joyeusement autour du sachet avant de se poser dessus, comme si elle s’en nourrissait.
Elle observa la scène un instant, puis se tourna vers Cédric. Il semblait complètement épuisé, des cernes marquant son visage. Il travaille trop pour sa sœur. C’est typique de lui.
Elle hésita, puis décida de ne pas intervenir davantage. Elle récupéra un livre rapidement et quitta la bibliothèque sur la pointe des pieds.
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Sur le chemin du retour, Léonie réfléchissait à ce qu’elle avait vu. La créature, Cédric, et cette étrange interaction avec son sachet de lavande…
Était-ce une partie du pouvoir de Selene ?
Elle serra son carnet contre elle. Si elle pouvait percer ce mystère, cela pourrait l’aider dans ses propres recherches.
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