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Les Arbres De La Mémoire

Les arbres de la mémoire

chapitre 1

Dans le petit village de Wuzhen, niché entre les collines et la forêt, se dressait un arbre étrange. Ce chêne, vieux de plusieurs siècles, trônait majestueusement au centre du cimetière, parmi les tombes des ancêtres du village. Il n’était ni plus grand ni plus imposant que les autres arbres, mais il avait quelque chose de particulier. Ceux qui touchaient son tronc ressentaient immédiatement une étrange sensation de ralentissement du temps, comme si le temps lui-même faisait une pause pendant un instant. Et en effet, cet arbre n’était pas ordinaire.

Les anciens du village racontaient que cet arbre avait le pouvoir de retenir les souvenirs de ceux qui le touchaient. Mais à chaque souvenir gravé dans son écorce, un prix était payé : l’espérance de vie de la personne diminuait d’un mois. Un sacrifice silencieux et insidieux, un échange que la plupart des villageois ne comprenaient pas pleinement, mais acceptaient sans jamais vraiment le remettre en question. Personne ne savait pourquoi cet arbre existait, ni pourquoi il absorbait les souvenirs, mais il était là depuis des générations, et les villageois le respectaient, comme on respecte une vieille tradition.

Édith, une femme d'une trentaine d'années, avait grandi dans ce village. Après avoir quitté Wuzhen pour poursuivre ses études dans la capitale, elle était revenue plusieurs années plus tard pour l'enterrement de son grand-père, Étienne, un homme au caractère dur et souvent mystérieux, qu'elle avait toujours respecté, mais qu'elle n'avait jamais vraiment connu. Elle n'avait pas été proche de lui, mais sa mort la plongea dans une étrange mélancolie, un vide qu'elle ne parvenait pas à combler.

En renouant avec la maison familiale, Édith se sentit envahie par les souvenirs d'enfance, les odeurs familières et les objets qui avaient marqué son passé. En triant les affaires de son grand-père, elle tomba sur une vieille boîte en bois sculpté, cachée dans un tiroir secret. À l’intérieur, elle trouva un carnet usé aux pages jaunies. En le feuilletant, elle découvrit une inscription qui fit accélérer son cœur : « Ce que nous oublions, l'arbre s'en souvient. »

Cette phrase semblait énigmatique, mais ce qui attira encore plus son attention, ce fut l’une des dernières pages du carnet. Étienne y avait écrit à propos d’un événement qui s’était produit bien avant sa naissance. Il parlait d’un pacte ancien entre les villageois et l’arbre. Un pacte qui avait permis à la communauté de prospérer, mais à un prix terrible : chaque souvenir partagé avec l’arbre enlevait une portion de la vie de ceux qui venaient se souvenir.

Édith relut la phrase encore et encore, comme si elle espérait qu’elle prendrait un autre sens, ou qu'une explication plus claire apparaîtrait soudainement. Mais la vérité semblait aussi froide et inéluctable que le vent qui soufflait dehors. L’arbre avait été le témoin de tant de vies, de moments partagés et oubliés. Il avait absorbé des souvenirs, des rires, des pleurs, et avec chaque mémoire, une portion du temps de ceux qui l'avaient touché avait été dérobée, lentement mais sûrement.

Elle se leva d'un coup, le carnet serré dans ses mains. Une étrange énergie l’envahissait, un mélange de curiosité et de peur. Étienne avait connu cette vérité, il l’avait vécue, peut-être même en avait-il été victime. Mais pourquoi avait-il laissé cette révélation dans un vieux carnet, caché dans un tiroir secret ? Pourquoi n’avait-il jamais parlé de cela ?

Son esprit tourbillonnait, se remplissant de questions sans réponses. Étienne avait-il compris trop tard ? Avait-il fait partie de ceux qui, dans leur désir d’immortalité, s’étaient liés à l’arbre sans en mesurer le prix ? Et si son grand-père, ce vieil homme taciturne et secret, avait sacrifié sa propre vie pour le bien du village, en déposant ses souvenirs dans les racines de l’arbre ? La pensée lui glaça le sang. Mais il y avait aussi cette dernière question, celle qui la hantait : Et si elle aussi, elle était déjà en train de payer ?

Elle posa le carnet sur la table et se rendit dehors. La nuit était tombée, et la lumière de la lune baignait la petite maison d'une lueur pâle. Elle se dirigea vers le jardin, où le vent faisait frissonner les branches des arbres. Au loin, elle aperçut le cimetière, et là, au centre, l'arbre. Il se dressait dans l’obscurité, comme une silhouette imposante, presque vivante. L'idée de s’y rendre, de toucher son tronc, lui effleura l’esprit, mais elle se ravisa. Non, pensa-t-elle. Pas encore.

Elle se tourna vers la porte, prête à retourner à l'intérieur, mais quelque chose l’arrêta. Un bruit. Un frémissement, faible mais distinct, à l’intérieur de la maison. Quelque chose bougeait, ou quelqu’un. Elle s’approcha lentement de la porte d'entrée, son cœur battant la chamade. Était-ce un chat ? Ou bien une ombre, un souvenir vivant dans cette vieille maison ? Mais, quand elle ouvrit la porte, il n'y avait personne.

Elle laissa échapper un souffle de soulagement, mais son esprit restait agité. Les paroles d’Étienne revenaient sans cesse dans sa tête. « Ce que nous oublions, l'arbre s'en souvient. » Que signifiait-il par là ? Était-ce un avertissement, ou un appel à comprendre ? Une partie de la vérité se cachait là, dans cette relation étrange et ancienne entre l'arbre et le village, entre la mémoire et le temps.

Le vent soufflait plus fort maintenant, comme un murmure porteur de secrets. Édith savait que le moment était venu de découvrir la vérité, une vérité qui changerait tout. Mais en aurait-elle le courage de la révéler ? Et surtout, était-elle prête à en payer le prix ?

Les échos du passé

Chapitre 2

Le lendemain matin, Édith se leva avant l’aube, l’esprit toujours lourd des révélations de la veille. Elle ne pouvait pas se permettre de rester dans l’incertitude. Il lui fallait des réponses, et pour cela, il fallait comprendre cet arbre, ce chêne vieux de plusieurs siècles qui semblait porter les poids du temps et des secrets du village. La brume matinale enveloppait le village de Wuzhen, rendant chaque pas d'Édith plus solennel, comme si le monde entier se taisait, attendant la suite.

Le cimetière se trouvait à quelques pas de la maison familiale. Les pierres tombales, anciennes et marquées par les années, se dressaient en rangées silencieuses, chacune portant les noms et les histoires des ancêtres. Édith se dirigea droit vers le chêne, son cœur battant plus fort à mesure qu’elle approchait. Le tronc rugueux, couvert de mousse, semblait presque l’attendre, prêt à livrer ses secrets.

Elle toucha le tronc, cette fois plus lentement, comme si elle espérait quelque chose de nouveau, de plus fort. Mais rien ne se produisit. Pas de sensation de ralentissement du temps, pas d’écho d’une mémoire oubliée. Le silence était complet, oppressant. Pourtant, quelque chose dans l’air, un frémissement imperceptible, lui faisait comprendre que l’arbre savait qu’elle était là, que ce contact était différent de tous les autres.

Elle s’assit au pied de l’arbre, les jambes repliées sous elle, et ferma les yeux. Son esprit dériva rapidement vers les paroles de la mystérieuse femme qu’elle avait rencontrée la veille. « Le secret est déjà écrit dans les racines de cet arbre », avait-elle dit. Édith se demandait si cette vérité était liée à cette ancienne promesse faite entre les villageois et l’arbre. Étienne l’avait-il su ? L’avait-il compris avant de se rendre à l’arbre pour la dernière fois ?

Au moment où elle rouvrit les yeux, une silhouette se dessina à l’horizon, juste au bord du cimetière. Une silhouette familière. C’était la vieille Marguerite, la bibliothécaire du village, une femme aux cheveux blancs, qui semblait connaître toutes les histoires, tous les secrets. Elle s’avançait lentement vers Édith, son visage marqué par les années, mais ses yeux restaient vifs, toujours curieux, comme ceux d’une jeune fille.

« Vous avez touché l’arbre, n'est-ce pas ? » demanda-t-elle, sa voix basse et grave.

Édith hocha la tête, surprise par la question directe, mais quelque chose dans le regard de Marguerite lui donna l'impression qu’elle savait déjà tout.

« Je sais ce que vous cherchez, Édith. » La vieille femme se baissa lentement pour s'asseoir à côté d'elle, sans hésiter, comme si le lieu ne lui était pas étranger. « Ce que vous cherchez, ce n’est pas juste l’histoire de votre grand-père, c’est l’histoire du village. »

Édith la regarda, interdite. Marguerite semblait avoir une compréhension profonde de ce qu'elle ressentait, et peut-être même de ce qu’elle cherchait. « Vous en savez plus sur cet arbre ? » demanda-t-elle enfin.

Marguerite lui sourit, un sourire triste, presque mélancolique. « Bien plus que vous ne pouvez l’imaginer. Mais tout est lié, Édith. L’arbre, votre grand-père, ce pacte. C’est une histoire de sacrifice, de mémoires volées… mais aussi de survie. »

Édith se leva brusquement, la tension montant dans sa poitrine. « Que voulez-vous dire par là ? »

Marguerite soupira profondément et leva les yeux vers l’arbre, comme si elle attendait une réponse du chêne lui-même. « Chaque génération a fait ce pacte, mais à quel prix ? Votre grand-père, Étienne, n’a pas échappé à cette règle. Ce qu’il a oublié, ce qu’il a sacrifié… vous devez savoir ce qu’il en reste. »

Édith sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. La vérité commençait à se dessiner, et elle savait qu’elle ne pourrait plus jamais revenir en arrière.

Édith ne pouvait détacher son regard de Marguerite, qui semblait lire en elle comme dans un livre ouvert. Les mots de la vieille femme flottaient dans l’air autour d’elle, pesant lourdement sur ses épaules. Elle se sentit submergée, comme si la terre sous ses pieds se dérobait peu à peu. Le cimetière, avec ses tombes et ses arbres silencieux, devenait un lieu aussi étranger que familier, un endroit où les secrets du passé se mêlaient aux murmures du présent.

Marguerite se leva lentement, ses gestes empreints de cette sagesse qui ne semblait pas d’origine humaine, mais d’un temps beaucoup plus ancien. « Vous ne savez pas tout, Édith. Cet arbre ne retient pas seulement les souvenirs des vivants. Il conserve aussi ceux des morts, de ceux qui l’ont touché avant. Et chaque souvenir qu’il garde, chaque vie sacrifiée, a un impact. Pas seulement sur la personne qui a fait le sacrifice, mais sur le village tout entier. »

Édith se sentit étouffer. « Mais pourquoi ? Pourquoi avoir fait cela ? Pourquoi Étienne… Pourquoi n’a-t-il jamais parlé de ce pacte ? »

Marguerite baissa la tête, ses yeux pleins de tristesse. « Parce qu'il n'avait plus de choix. » Elle marqua une pause avant d’ajouter : « Le pacte, vous voyez, n’a pas été fait volontairement au départ. C’était une nécessité, une solution trouvée dans l’urgence, dans un moment de grande souffrance. »

Elle se tourna vers l’arbre, comme si elle parlait à une vieille connaissance. « Il y a bien longtemps, ce village a été frappé par une épidémie terrible. Toute une génération a été décimée. Les ancêtres ont consulté les sages et les chamanes, mais personne ne trouvait de remède. C’est alors qu’un vieil homme, un ermite, leur parla de l’arbre. Il leur dit que, si l’on faisait un pacte avec l’arbre, un prix devait être payé en échange de la guérison. »

Édith écoutait attentivement, les yeux fixés sur Marguerite. La vieille femme n’avait pas dit un mot depuis un moment, mais son regard était lointain, perdu dans les souvenirs de son propre passé.

« Cet arbre a donné sa bénédiction au village, mais à un prix que peu comprenaient alors. Les mémoires, les souvenirs, les vies. Chaque année, une personne touchait l’arbre et y déposait une portion de sa propre existence. La communauté grandissait, les récoltes étaient abondantes, les malheurs s’éloignaient. Mais à chaque touchement, la vie de celui qui le touchait diminuait d’un mois. Ce cycle s’est installé sans qu’on en parle. Les gens ne savaient pas vraiment ce qu’ils donnaient, mais ils savaient que tout allait mieux, et que personne ne mourrait. »

Édith frissonna. Le pacte avait été passé, mais le prix payé était insidieux, invisible. « Et Étienne ? Pourquoi a-t-il caché tout cela ? »

Marguerite ferma les yeux un instant, puis posa une main sur l’épaule d’Édith. « Parce qu’il a vu. Il a vu ce qui se passait à ceux qui touchaient l’arbre. Il a vu leur vie se réduire comme un sable qui coule dans un sablier. C’est pour ça qu’il est parti en ville. Il pensait que, loin de l’arbre, il échapperait à cette malédiction. Mais il était déjà trop tard. »

Les mots de Marguerite résonnèrent dans l’esprit d’Édith comme un glas. Étienne n’avait jamais cherché à fuir la malédiction, il avait cherché à comprendre comment il pouvait l’arrêter. Mais la vérité était là, bien ancrée dans les racines du vieux chêne.

Marguerite se tourna à nouveau vers l’arbre. « La mémoire de votre grand-père est maintenant en lui. Et maintenant, c’est à vous de décider. »

Édith sentit une lourdeur s’abattre sur elle. « Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demanda-t-elle, la gorge serrée.

Marguerite la regarda profondément. « Le cycle doit se poursuivre, ou il s’effondrera. L’arbre doit recevoir une mémoire chaque année. Sinon, il perdra sa force et le village sera à nouveau frappé par la malédiction d’autrefois. Vous devez choisir : révéler ce secret et arrêter ce cycle de sacrifices, ou le protéger et accepter de faire face à ce que vous ne pouvez pas encore comprendre. »

Les mots durs de Marguerite étaient une sentence, une vérité trop lourde à porter. Édith sentit un tourbillon d’émotions l’envahir, mais elle savait au fond d’elle que, comme pour son grand-père, il n’y avait pas d’échappatoire. Le pacte était là, tissé dans la toile de la vie du village.

Elle se tourna vers l’arbre. Là, au centre de ce lieu qui avait vu naître tant de vies et de morts, elle comprenait enfin. L’arbre n’était pas seulement un témoin, il était le gardien du passé et de l’avenir de Wuzhen.

Elle se pencha lentement et toucha à nouveau le tronc, fermant les yeux. À cet instant, elle sentit une étrange chaleur l’envahir, comme si l’arbre elle-même la reconnaissait. Un murmure se fit entendre dans l’air, léger mais distinct : « La vérité est en vous, Édith. Vous êtes l’héritière des mémoires. »

Le poids de l’histoire, des sacrifices et des vies passées, se fit plus lourd. Édith savait que, quel que soit son choix, il marquerait à jamais son destin. Et celui du village.

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