Art'héna n'était pas une fille ordinaire. À seulement 22 ans, cette jeune béninoise semblait vivre à contre-courant, comme si le destin s'était trompé de chemin en l'invitant à danser. Alors que la plupart des gens se battent pour réussir, elle, elle se battait pour échouer. Et pourtant, à chaque tentative d'échec, le succès se glissait dans sa vie comme une vieille habitude qui refusait de mourir.
Ce matin-là, Art'héna se réveilla avec une nouvelle idée en tête. Comme chaque fois qu'elle entreprenait quelque chose, son objectif était clair : rater de manière spectaculaire. Son regard se posa sur le petit carnet où elle notait toutes ses idées, griffonnant ses objectifs et ses plans, des listes soigneusement élaborées de tout ce qu'elle voulait foirer. Cette fois, elle avait décidé de postuler à un concours de slam local, convaincue qu'elle n'avait aucune chance.
Elle sourit en se rappelant comment elle s'était mise au slam. La première fois qu'elle avait tenté, c'était par accident. Elle n'avait même pas prévu de participer à une scène ouverte dans un bar de Cotonou, mais ses mots étaient sortis si naturellement, portés par une émotion brute et une honnêteté qui toucha l'assemblée. Elle avait fini par gagner le premier prix, sous le choc et en colère contre elle-même. Depuis, elle se disait que ce succès n'était qu'un coup de chance, et cette fois, elle allait vraiment tout faire pour échouer.
Art'héna descendit dans la rue, fredonnant une mélodie gospel qu'elle aimait bien. La musique gospel était pour elle une source de réconfort, un doux rappel de ses racines et de sa foi en un univers qu'elle ne comprenait pas toujours. Même si elle ne croyait pas vraiment au succès, la musique était son refuge, une manière d'exprimer ce qu'elle ressentait sans s'attendre à rien en retour.
« Aujourd'hui, je vais foirer ce slam, » murmura-t-elle en s'encourageant elle-même, « cette fois, il est impossible que je gagne. »
Elle se tenait devant la porte du petit café où le concours aurait lieu dans quelques heures. Le cœur battant, elle prit une profonde inspiration. Elle savait déjà quel poème elle allait réciter — un texte bancal, plein de rimes mal assorties et de métaphores confuses, exactement ce qu'il fallait pour perdre.
Mais la magie d'Art'héna, c'était justement là : même dans son chaos, elle avait une manière unique de captiver, d'attirer l'attention sans même le vouloir. Les mots jaillissaient de sa bouche avec une puissance et une passion qu'elle ne contrôlait pas. Chaque vers défaillant prenait une forme étrange, inattendue, comme si son talent refusait de suivre ses ordres.
En attendant son tour, elle se mit à taper du pied, créant un rythme involontaire qui commençait à attirer les regards. Certains la reconnaissaient, la fille qui réussissait toujours malgré elle, et murmuraient son nom, « Art'héna ». Elle soupira. Pour une fois, elle espérait sincèrement être celle qu'on oublie.
Le présentateur annonça son nom, et elle monta sur scène avec la détermination de quelqu'un qui s'apprête à tout perdre. Mais le destin, une fois de plus, avait d'autres plans pour elle.
Art'héna était sur scène, le regard fixé sur le micro devant elle. Elle prit une profonde inspiration, bien décidée à réciter le pire poème de sa vie. Ce texte, elle l’avait préparé avec soin, veillant à ce qu’il manque de rythme, de sens et d’âme. Elle voulait que chaque mot résonne comme une fausse note.
« Je suis un bateau sans mer, un oiseau sans ciel, une étoile sans nuit… », commença-t-elle, s'efforçant de rendre sa voix monocorde et sans émotion. Elle hésita volontairement sur les mots, espérant que le public se désintéresserait d'elle rapidement. Mais, à mesure qu'elle avançait, quelque chose d'inexplicable se produisit.
Sa voix, malgré tous ses efforts pour la rendre fade, tremblait d'une sincérité qu'elle ne pouvait pas contenir. Les mots qu'elle avait jugés bancals semblaient soudainement prendre vie, se transformant en une cascade de sentiments bruts. Le public, qui était d'abord resté silencieux, commença à applaudir, puis à scander son nom.
« Art'héna ! Art'héna ! » criait la foule, visiblement touchée par sa performance.
Elle sentit son cœur se serrer d’une frustration familière. Comment cela pouvait-il encore se produire ? Elle avait tout fait pour échouer, pour disparaître sous la surface des applaudissements, et voilà qu'elle se retrouvait sous les projecteurs, encore une fois.
Elle quitta la scène précipitamment, le visage brûlant de colère et d'embarras. « Je ne comprends pas, » murmura-t-elle en descendant les marches, les poings serrés. « Pourquoi est-ce que je ne peux pas échouer comme tout le monde ? »
Elle se réfugia dans un coin du café, essayant de se calmer en écoutant le murmure de la musique gospel qui jouait doucement en arrière-plan. Cette mélodie douce et apaisante semblait se moquer d'elle, comme si même la musique savait qu'elle n'était pas destinée à l'échec.
Alors qu'elle se perdait dans ses pensées, un jeune homme s'approcha. Il portait un sourire hésitant, presque timide, mais ses yeux brillaient d'admiration.
« C'était incroyable ce que tu as fait sur scène, » dit-il doucement. « Je m'appelle Désiré. Je ne sais pas si tu réalises l'impact que tu as eu sur tout le monde ce soir. »
Art'héna leva les yeux vers lui, perplexe. Désiré continuait de parler, ses mots plein de sincérité. « Je suis aussi slameur, mais ce que tu as fait, c'était différent. Tu as touché quelque chose de profond. »
Elle laissa échapper un soupir exaspéré. « Je ne voulais pas toucher quoi que ce soit, » rétorqua-t-elle. « Je voulais juste… échouer. »
Désiré éclata de rire, un rire chaleureux qui semblait désamorcer sa frustration. « Eh bien, si c'est ton idée d'un échec, alors j'espère sincèrement échouer aussi bien que toi un jour, » dit-il en lui tendant la main.
Art'héna ne savait pas quoi répondre. Pour la première fois, elle se demanda si sa quête d’échec n’était pas, en réalité, une quête de vérité, une vérité qu'elle exprimait malgré elle à travers son slam et sa musique. Peut-être qu'elle échouait parce que, au fond, elle n'était pas faite pour échouer.
Alors qu'elle serrait la main de Désiré, une pensée traversa son esprit : et si ce qu'elle avait toujours considéré comme un défaut était en réalité son plus grand talent ?
Art'héna, assise seule dans sa chambre, regardait son reflet dans le miroir. Les mots de Désiré résonnaient encore dans sa tête. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi il voyait de la beauté dans son échec. Son objectif était simple : elle voulait prouver qu'elle n'était pas faite pour réussir. Elle voulait être normale, ordinaire, loin des attentes des autres.
Le lendemain matin, elle décida de se fixer un nouveau défi, cette fois-ci loin du slam et de la musique. Elle se convainquit que peut-être, si elle essayait quelque chose de totalement différent, elle pourrait enfin atteindre l'échec qu'elle recherchait. Elle se mit en tête de rejoindre un atelier de peinture. Après tout, elle n'avait aucune expérience dans ce domaine, et ses talents artistiques se limitaient à quelques gribouillis maladroits sur des bouts de papier.
En arrivant à l'atelier, Art'héna regarda autour d'elle, légèrement intimidée. Les autres participants semblaient concentrés, leur pinceau dans une main, la palette de couleurs dans l'autre. Elle prit une profonde inspiration et se dit : « Cette fois, c'est sûr, je vais rater. Je n'ai aucune chance de réussir ici. »
Elle se mit alors à peindre, décidée à créer la toile la plus chaotique possible. Elle mélangea les couleurs sans réfléchir, traça des lignes irrégulières, éclaboussa la toile de manière anarchique. Pour elle, c'était un vrai désastre artistique, une œuvre sans âme ni sens. Elle se sentit presque soulagée en regardant le résultat final : une explosion de couleurs et de formes abstraites qui, selon elle, ne ressemblait à rien.
Pourtant, à sa grande surprise, l'instructeur de l'atelier s'approcha d'elle, un sourire émerveillé sur le visage. « C'est magnifique, » déclara-t-il avec enthousiasme. « Votre utilisation des couleurs est audacieuse et vos formes expriment une énergie brute, un chaos parfaitement orchestré. Vous avez un vrai talent pour l'art abstrait ! »
Art'héna écarquilla les yeux, incrédule. Comment était-ce possible ? Comment un tel gâchis pouvait-il être considéré comme un succès ? Elle tenta de protester, d'expliquer qu'elle n'avait rien planifié, que tout cela n'était qu'un accident, mais l'instructeur l'interrompit avec un regard admiratif.
« Vous avez un don rare, Art'héna, » dit-il. « Vous exprimez l'essence même de l'abstraction. Vous êtes capable de capturer l'imprévisible, de rendre visible l'invisible. »
Elle resta silencieuse, déconcertée par ses mots. Pour la première fois, elle se demanda si son incapacité à échouer n'était pas une forme de réussite en elle-même. Et si, dans cette quête insensée d'échec, elle était en réalité en train de découvrir qui elle était vraiment ?
En quittant l'atelier, Art'héna croisa Désiré. Il était là, appuyé contre un mur, un sourire en coin. « Alors, comment ça s'est passé ? » demanda-t-il avec un éclat de malice dans les yeux.
Elle haussa les épaules, l'air défait. « J'ai encore échoué à échouer, » répondit-elle, tentant de masquer sa frustration.
Désiré éclata de rire. « Peut-être que tu cherches à te battre contre la mauvaise chose, » dit-il doucement. « Et si tu acceptais simplement que tu es faite pour réussir, peu importe comment tu t'y prends ? »
Art'héna le regarda, les sourcils froncés, sans savoir quoi répondre. Une partie d'elle savait qu'il avait raison. Mais elle n'était pas encore prête à abandonner sa quête d'échec. Pas encore
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