Chapitre I : L’être biforme

Jordi est seul dans sa chambre, baignée dans une lumière douce provenant de la lampe de chevet près de son lit. Les murs sont ornés de posters de ses héros préférés, témoignant de ses passions et de ses rêves d'évasion. Le silence règne, seulement ponctué par le tic-tac régulier de l'horloge et le murmure lointain de la vie qui continue au-dehors. À travers la fenêtre entrouverte, un léger souffle d'air apporte le parfum printanier des fleurs du jardin, un rappel cruel de la liberté dont il est désormais privé. Malgré la chaleur réconfortante de sa couverture, une sensation de froid persiste en lui, semblable à la solitude glaciale qui l'envahit chaque jour un peu plus.

Assailli par un sentiment de solitude exacerbé, pesant sur lui tel un fardeau insupportable. Assis sur son lit, une intraveineuse fixée à son bras gauche, il laisse échapper un soupir de désespoir. Il n'a jamais eu d'ami, jamais eu l'occasion de partager des jeux avec un compagnon. À l'âge de douze ans, il est d'une maigreur frappante, timide mais empli de vivacité. Malheureusement, la leucémie, ce fléau du sang, l'a frappé de plein fouet, condamné par les médecins qui ne lui accordent que quelques semaines de vie tout au plus.

Dans sa chambre, l'isolement est total. Seules les visites sporadiques de l'infirmière viennent rompre la monotonie de ses journées. Sa famille, absente et indifférente, n'a jamais daigné lui rendre visite, le laissant seul face à son combat contre la maladie.

Mis à l'écart car il n’incarnait pas les valeurs de la famille, rejeté par ceux qui auraient dû être ses soutiens les plus proches, Jordi se retrouve seul à affronter son destin, un destin sombre et solitaire qui ne semble offrir aucun espoir.

Jordi se fige, écoutant attentivement le son répétitif qui semble résonner dans toute la maison. "Boom... Boom..." Son esprit tourbillonne de questions. Qui pourrait bien être là, en dehors de l'infirmière qui le visite régulièrement ? Sa maison, érigée au milieu de nulle part, avait été conçue pour assurer son isolement. Pourtant, ces bruits ne peuvent être ignorés. Jordi se sent envahi par un mélange de curiosité et d'appréhension, son cœur battant à l'unisson du mystérieux rythme.

Il a envie de se lancer hors de son lit pour aller voir qui est cette personne. Il se dit que ça pourrait bien être sa sœur qui voulait jouer avec lui, ou son petit frère qui était là avec sa balle.

« Boom… Boom », encore. Comme si on s’adressait à lui.

Il s’élance alors, avec beaucoup de peine mais déterminer à savoir qui s’amuse sans lui.

Sa perfusion lui servait à se maintenir debout et à avancer vers l’origine ce bruit soudain. Il n’a pas peur, au contraire, il est enjoué, il affiche un sourire sur son visage, il a hâte de rencontrer ses frères pour jouer.

Pourtant, alors qu'il s'approche, le son semble se déplacer, venant maintenant de derrière lui. Jordi s'arrête, déconcerté. Était-ce sa maladie qui jouait des tours à sa perception ? La confusion l'envahit alors qu'il tente de comprendre cette étrange séquence d'événements.

Soudain, la balle roule vers lui, le heurtant avant qu'il n'ait le temps de se retourner complètement. Rouge vif, ornée de motifs colorés, il la saisit de sa main gauche, son émerveillement se mêlant à sa perplexité. Jetant un regard autour de lui, il entreprend de suivre cette piste inattendue, avançant avec une démarche hésitante mais déterminée vers l'origine de ce mystérieux cadeau.

__ Qui est là ? dit-il d'une voix timide.

__ C'est Maman ! répond une voix de femme.

__ Non, c'est faux. Maman ne vient jamais.

__ Mais je suis là.

__ Et ça ne ressemble pas à la voix de ma mère.

Il n'avait pas toujours peur de cette chose qui se cachait dans le coin droit menant au garage.

__ Tu es malade ? demande-t-elle d'un ton grave.

__ Oui, et le docteur dit que je vais bientôt mourir," répond-t-il. Comment fais-tu pour changer de voix ?

__ Tu veux que je te montre ?

__ Oui, j'aimerais bien.

__ Comment tu t'appelles ?

__ Je m'appelle Jordi, et toi ?

__ Je n'ai pas de nom.

__ Hein ? Comment ça tu n'as pas de nom ? T’es bien étrange.

__ Tu veux m'en donner un ?

__ Si tu veux.

__ N'approche pas plus, dit la chose en remarquant que Jordi s'approchait à quelques mètres.

__ Pourquoi tu te caches ?

__ Parce que tu auras peur de moi.

__ J'ai seulement peur du docteur. Tu es un docteur ?

__ Non.

__ Alors sors, on joue.

Et là, la chose qui se cachait sort lentement, une partie du corps après l’autre. Une joie intense envahit Jordi, malgré la perfusion qui le maintient debout. Il n'était pas heureux parce que l'être devant lui était biforme et possédait quatre bras au lieu de deux, mais parce qu'il se sentait enfin compris, lui qui était différent.

__ Tu n’as pas peur de moi ? demande l'être biforme.

__ Pourquoi devrais-je avoir peur de toi ? répond Jordi.

__ J’ai plus de bras que toi et je suis plus grand que toi, grogne-t-il.

__ Non ! réplique Jordi.

__ Tu es bien étrange comme garçon. C’est quoi ce truc qui entre dans ton bras ? demande l'être biforme.

__ Le docteur dit que ça va m’empêcher de mourir rapidement.

__ Et toi, veux-tu mourir ?

__ Non, je veux jouer avec mes frères et me faire plein d’amis.

__ Dans ce cas, viens avec moi.

__ Où ?

__ Je connais quelqu’un qui peut te guérir. Et tu pourras jouer de nouveau.

L’enfant était heureux de ce que lui a dit cet être biforme. Heureux parce qu'il allait enfin être normal comme tous les autres enfants.

Il le soulève soigneusement à l’aide d’un de ses bras et ils s’en vont en direction du garage, laissant le ballon derrière eux.

__ Au fait, tu me donnes quel nom ?

__ Baldie,

__ C’est pas mal comme nom…

**Chapitre II : Un monde bien merveilleux **

Toujours souffrant mais se trouvant à l’abri sur l’épaule de son ami, Jordi observe le nouveau paysage qui s’offre à lui. Un monde nouveau. Un dont il n’en a jamais vu, beau, merveilleux et plein d’histoire dont il en a vu dans les livres qui le tiennent compagnie. Il se pose mille et une question, sur cet "étrange" lieu qui lui fait observer des merveilles. Des paysages à en couper le souffle, il n’en revient pas. Lui qui porte des verres, à être obligés de les retirer pour mieux observer ce monde imaginaire.

A peine il avait traversé le garage, ils sont entrés dans une sorte de porte. Elle ressemblait à un trou dans arbre. Une fois rentré, ils ont atterri dans une sorte de passage. Un sentier où se tenait au loin un plus grand arbre de couleur écarlate avec un trou lumineux en son sein, c’était là leur destination.

Toujours assis sur l’épaule de Baldie, son ami. Il ne peut s’empêcher d’être émerveillé. C’est comme si l’air qui était autour de lui avait changé. Ses poumons semblaient se remplir de vie, ses yeux semblaient perdre leur myopie, et sa peau ressentait quelque chose de nouveau. Qu’étais-ce donc ? Quel est ce monde qui fait découvrir de nouvelles sensations ?

Il ne peut s’empêcher de repenser à sa famille, à ses frères et sœurs. Il se dit qu’ils auraient été heureux de voir ça aussi. Que s’ils étaient là, sur cette montagne qui surplombait cette vallée, ils auraient tout quitté pour venir vivre ici. Pourtant, quelque chose le chiffonne. Il repense encore à sa maladie, à ses quelques temps à vivre, une larme roule sur sa joue sans qu’il s’en aperçoit. Il se dépêche de la faire disparaître en passant sa main sur son visage pour ne pas inquiéter son nouvel ami à quatre bras qui observe lui aussi la vallée.

Il aperçoit au loin un drôle d’être. Une "personne", si on peut qualifier ça ainsi, avec une morphologie bien que différente de ce qu’il connaît. Ses yeux n’arrivent pas encore à accepter ce qui se trouve en face de lui alors il détourne la tête pour ne pas prendre peur. Il pose ses yeux sur un groupe d’animaux inconnus. Des grands animaux semblables à des girafes mais plus massifs. Une peur s’installe alors dans son corps. Il se demande où il se trouve et qu’est-ce qu’il voit.

Voyez-vous, un enfant qui est confronté à l’inconnu sans y être préparé. Ça fini forcément en pleure. Pourtant, il contient sa peur, retourne sa tête sur cet individu dont il a détourné le regard et essaie de bien identifier ce nouvel "homme".

Il ne connaît rien à ce monde. La seule personne qu’il pensait pouvoir lui expliquer c’était son frère. Lui qui est si méchant envers Jordi car celui-ci n’incarne pas les valeurs de la famille, qui sont : force et travail. Lui qui fait des grandes études et qui se documente hardiment. Mais Jordi se trompait. Personne sur cette terre sauf une n’était arrivé dans ce monde. Même Lilian, son frère, qui passe son temps le nez fourré dans un bouquin, n’aurait jamais pu identifier cet endroit magique. Car celui-ci n’est dans aucun livres, aucuns manuels. Tous ceux qui viennent ici, sont eux qui ont été convié.

Il se demande comment fonctionne ce "monde". Aucun engin en vue, pas de voiture, pas d’avion. Même pas un bruit mécanique. Quelle étrange monde… Comment peut-on vivre sans électronique ? Sans moyen de transport moderne ? Sans téléphone ? Les habitants de ce monde ne s’ennuierait-il pas ? Nous qui sommes habitués à ces gadgets, nous n’allons même pas survivre plus de deux jours. Mais lui, condamné dans sa chambre avec un livre comme seul compagnon, il peut espérer s’adapter et pourquoi pas rencontrer le guérisseur que son ami lui a promis.

Sa peur commence à disparaître au fur et mesure que son regard scrute avec minutie "l’homme" qui se trouve à quelques mètres. Il regarde ses pieds, qui sont très grand et très large. Il remonte sur ses longues jambes fines, son petit bassin, son long tronc surplomber d’un boubou à manches longues, sa tête en forme de cylindre et sa peau toute verte. Il rit soudainement, pensant à un légume qui est aussi vert. Son ami tourne la tête en sa direction, il cesse de rire et pose ses yeux sur le paysage.

__ On y va ? Demande-t-il avec sa voix frêle,

__ Allons-y…