La pluie tombait drue sur les rues de Tokyo, transformant les trottoirs en miroirs scintillants sous les néons colorés. Les gouttes d'eau frappaient la fenêtre de la chambre de Kaito Nakamura, résonnant comme une mélodie familière. Assis à son bureau, il regardait la pluie avec un détachement étrange, comme si le monde extérieur n'avait plus d'importance pour lui.
Ses yeux sombres glissèrent vers le masque de Noh posé sur le coin de son bureau. C'était un masque ancien, probablement volé dans un temple abandonné des montagnes. Son visage, figé dans une expression de colère froide, semblait presque vivant sous la faible lumière de la lampe.
Kaito tendit la main, effleurant le masque du bout des doigts. La sensation du bois sous sa peau le ramenait à un souvenir d'enfance, une nuit où il avait pour la première fois senti la douceur de l'obscurité l'envahir. Un frisson d'excitation traversa son corps, et il ferma les yeux, laissant ce sentiment le submerger.
"Ce soir," murmura-t-il pour lui-même, "ce soir, je deviendrai celui que je suis vraiment."
Il enfila le masque, sentant la froideur du bois contre son visage. Sa respiration devint plus lente, plus profonde, alors qu'il ajustait les courroies. Une fois le masque en place, il se regarda dans le miroir. Ce qu'il vit le fit sourire. Ce n'était plus Kaito Nakamura, l'étudiant modèle et discret. C'était un être de l'ombre, une entité née de la peur et de la douleur.
Il attrapa son sac à dos noir, glissant à l'intérieur une petite boîte en bois, puis sortit de sa chambre sans un bruit. Le silence régnait dans l'appartement, ses parents profondément endormis. Ils ne savaient rien de la double vie de leur fils, rien de l'obscurité qui habitait son cœur.
Kaito descendit les escaliers, traversa le hall d'entrée de l'immeuble, et sortit dans la nuit pluvieuse. Le froid de la pluie sur sa peau le réveilla complètement, le rendant plus alerte, plus conscient de chaque détail autour de lui. Il se fondit dans la foule des passants, anonyme et invisible, un simple spectateur de la vie qui l'entourait.
Sa destination était déjà choisie. Une petite rue cachée entre deux immeubles abandonnés, un endroit oublié de la ville où personne ne se rendait à cette heure tardive. Il savait que sa proie l'y attendrait, sans se douter du sort qui l'attendait.
Le cœur de Kaito battait avec une intensité croissante alors qu'il approchait du lieu. La pluie redoublait de violence, rendant la rue presque déserte. Seule une silhouette solitaire se tenait sous l'abri d'un porche, fumant une cigarette avec nonchalance.
Kaito s'arrêta à quelques mètres, observant sa victime. Un homme dans la quarantaine, les épaules voûtées par la fatigue ou l'ennui. Il semblait perdu dans ses pensées, ignorant complètement la présence du jeune homme masqué.
C'était parfait.
Kaito avança d'un pas sûr, silencieux comme une ombre, et avant que l'homme ne puisse réagir, il était sur lui. Le masque impassible fixait la terreur naissante dans les yeux de l'homme, qui lâcha sa cigarette dans une tentative désespérée de se défendre.
Mais il était déjà trop tard.
Le couteau dans la main de Kaito brilla sous les lumières de la ville, une lame rapide et précise qui trancha la vie de l'homme en un instant. Un cri étouffé se perdit dans la pluie, et le corps s'effondra lourdement sur le sol.
Kaito se pencha sur le cadavre, son souffle haletant contre le masque. Il ouvrit la boîte en bois et en sortit un autre masque, plus petit, qu'il plaça délicatement sur le visage de l'homme mort. La scène était maintenant complète, une nouvelle œuvre d'art macabre à ajouter à sa collection.
Il recula, admirant son travail, avant de disparaître dans la nuit, laissant derrière lui le corps sans vie, anonyme dans une ville qui ne s'arrêterait jamais de vivre.
C'était seulement le début, pensa-t-il en se fondant à nouveau dans la foule. Le début d'une danse macabre qui ne faisait que commencer.
Le lendemain matin, Tokyo s'éveilla sous un ciel gris, encore alourdi par la pluie de la veille. Les rues étaient déjà animées, les habitants pressés se frayaient un chemin à travers le trafic incessant, mais au milieu de ce chaos quotidien, une scène sinistre s'était formée.
Les rubans jaunes de la police encerclaient la petite rue où le corps avait été découvert. Des agents en uniforme tentaient de tenir à distance les curieux, tandis que les détectives examinaient la scène de crime avec une attention minutieuse. Parmi eux, l'inspectrice Ayumi Sato se tenait en retrait, observant les détails avec un calme glacial.
Elle n'était pas grande, mais sa présence imposait le respect. Ses cheveux noirs, coupés courts, encadraient un visage marqué par l'expérience, des yeux perçants qui semblaient voir au-delà des apparences. Ayumi s'approcha du corps, maintenant recouvert d'une bâche, et se pencha pour examiner le masque de Noh placé sur le visage de la victime.
"C'est le quatrième en deux mois," murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour ses collègues. Elle prit une paire de gants en latex, souleva délicatement le masque et l'inspecta. Le bois, bien que vieilli, était encore solide, et la peinture rouge et blanche semblait presque fraîche. Les traits de colère figés sur le masque étaient d'un réalisme troublant.
"Il prend soin de ses masques," remarqua-t-elle à voix haute, attirant l'attention de son partenaire, Takashi Yamamoto, un homme imposant au visage jovial.
"Qui ça ?" demanda Takashi, relevant les yeux de son carnet de notes.
"Le tueur," répondit Ayumi en se relevant. "Il choisit ses victimes au hasard, mais les masques… c'est autre chose. Ils sont tous authentiques, chaque scène est une mise en scène soigneusement orchestrée. Il veut qu'on voie son travail, qu'on l'admire."
"Un narcissique, alors ? Peut-être même un artiste frustré ?" suggéra Takashi en haussant les épaules.
"Peut-être," répondit Ayumi, songeuse. "Mais il y a plus que ça. Ces masques sont des symboles. Il veut que nous les comprenions, mais il joue avec nous, nous laissant dans le noir."
Takashi acquiesça, habitué aux intuitions souvent justes de sa collègue. "Qu'est-ce qu'on fait alors ?"
"On continue de chercher des indices," répondit-elle fermement. "Quelque chose finira par le trahir. Personne ne peut commettre autant de crimes sans laisser une trace, même minuscule."
Ils passèrent encore plusieurs heures sur les lieux, fouillant chaque recoin, mais la scène était presque parfaite, stérile de tout élément compromettant. Ayumi ne pouvait s'empêcher de ressentir une frustration croissante. Le tueur était habile, méthodique, et semblait toujours avoir une longueur d'avance.
À quelques kilomètres de là, Kaito Nakamura assistait à ses cours comme n'importe quel autre lycéen. Il s'asseyait toujours au fond de la classe, un peu à l'écart, le regard perdu dans ses pensées. Ses camarades le trouvaient étrange, distant, mais personne n'aurait jamais imaginé ce qui se passait dans son esprit.
Pendant que le professeur expliquait des concepts mathématiques complexes, Kaito repensait à la nuit précédente. La sensation du couteau dans sa main, la terreur dans les yeux de sa victime, le sentiment d'accomplissement lorsqu'il avait placé le masque sur le cadavre… Tout cela flottait encore en lui, comme un rêve éveillé.
Ses pensées furent interrompues par la sonnerie annonçant la fin des cours. Kaito rangea lentement ses affaires, attendant que les autres quittent la salle avant de se lever. Il n'aimait pas se mêler à la foule, préférant la solitude de ses propres réflexions.
Alors qu'il marchait dans les couloirs, son regard croisa celui de Saeko Tanaka, une camarade de classe qui semblait toujours préoccupée par quelque chose. Elle le fixait souvent, avec une curiosité mal dissimulée, mais Kaito l'ignorait habituellement. Cette fois, cependant, il lui offrit un léger sourire, presque imperceptible, avant de tourner à l'angle et de disparaître.
Saeko resta figée sur place, perplexe. Il y avait quelque chose dans les yeux de Kaito qui l'intriguait, quelque chose de sombre qu'elle ne parvenait pas à comprendre.
Mais Kaito savait que le jeu qu'il jouait était risqué. Chaque meurtre attirait un peu plus l'attention sur lui, chaque nouvelle scène de crime le rapprochait de sa propre chute. Et pourtant, il ne pouvait pas s'arrêter. Il était pris au piège dans une spirale de violence et de création, incapable de résister à l'appel des ténèbres.
Il quitta l'école sans un mot, la pluie légère tombant à nouveau sur la ville. Il savait qu'il devait se préparer pour sa prochaine œuvre, sa prochaine victime. Car, dans cette ville immense et aveugle, il était le seul à comprendre la beauté cachée dans l'horreur.
La nuit avait de nouveau enveloppé Tokyo de son manteau d’obscurité, et la pluie fine continuait de tomber, transformant la ville en un tableau brumeux et mélancolique. Dans un petit café de quartier, l’inspectrice Ayumi Sato sirotait un café noir, son esprit toujours focalisé sur la scène de crime de la veille. Devant elle, une pile de documents et de photos retraçait les meurtres en série qui la hantaient depuis des semaines.
Takashi, son partenaire, entra en secouant son parapluie trempé avant de se diriger vers la table. "Tu es encore ici ? C'est pas bon de te plonger autant dans cette affaire," dit-il en s’asseyant en face d’elle.
"Je n'arrive pas à décrocher," répondit Ayumi en feuilletant une autre série de rapports. "Il y a quelque chose dans cette affaire… un détail que je ne vois pas encore, mais qui est juste là, sous la surface."
"Tu te tortures pour rien, Ayumi. C’est un tueur intelligent, mais on finira par le coincer. Ils font toujours une erreur."
"Je sais," dit-elle, levant les yeux vers son partenaire. "Mais quelque chose me dit que ce n’est pas seulement une question de chance. Ce type joue avec nous. Il veut qu’on le chasse, qu’on essaie de le comprendre."
Takashi hocha la tête, reconnaissant cette étincelle dans les yeux de son amie. "Alors, qu’est-ce que tu proposes ?"
Ayumi poussa un soupir. "Je veux examiner les masques de plus près. Il doit y avoir un indice, quelque chose qui relie tout ça. Chaque masque est différent, mais il y a un fil conducteur. Peut-être qu’ils viennent tous du même endroit ou ont été créés par la même personne."
"Tu veux retourner au poste et les analyser ?"
"Pas tout de suite. J’ai une autre idée d’abord." Elle se pencha en avant, baissant la voix. "Il y a un magasin d’antiquités près de Shibuya qui est spécialisé dans les masques de Noh. Le propriétaire est un expert dans le domaine. Il pourrait reconnaître quelque chose que nous avons manqué."
Takashi leva un sourcil, impressionné par la perspicacité de sa partenaire. "Ça vaut le coup d’essayer. Allons-y."
Pendant ce temps, Kaito Nakamura errait dans les rues pluvieuses, ses pensées encore hantées par le frisson de son dernier meurtre. Il ressentait un mélange d'euphorie et d'angoisse, une dualité qui le déchirait intérieurement. Mais ce soir, il n’était pas en chasse. Il se sentait vide, comme si la vie s’échappait de lui à chaque pas.
Ses pas le menèrent jusqu’à un petit parc isolé, où il s’assit sur un banc, observant les gouttes de pluie tomber dans une mare d'eau. Son esprit était tourmenté par des souvenirs flous de son enfance, des images de violence et de douleur qu’il préférait oublier. Mais ces souvenirs le hantaient, nourrissant les ténèbres en lui.
Alors qu’il contemplait l’eau, une voix douce l’interrompit. "Kaito ?"
Il leva les yeux et vit Saeko Tanaka, tenant un parapluie au-dessus de sa tête. Elle le regardait avec cette même curiosité, mais aussi une inquiétude sincère.
"Kaito, tu es ici tout seul, sous la pluie ? Ça va ?" demanda-t-elle en s’approchant prudemment.
Kaito se redressa légèrement, étonné de la voir ici. "Je… oui, je vais bien. Je voulais juste être seul un moment."
Saeko lui sourit doucement, s’asseyant à côté de lui sous son parapluie. "Je comprends. Parfois, on a juste besoin d’échapper au bruit du monde."
Il hocha la tête, mais ne répondit pas. Ils restèrent assis en silence, écoutant le bruit de la pluie. Pour la première fois depuis longtemps, Kaito ressentait une étrange forme de paix en présence de quelqu’un d’autre.
"Tu sais," reprit Saeko après un moment, "on se demande tous pourquoi tu es toujours si distant. On aimerait mieux te connaître."
Kaito tourna légèrement la tête pour la regarder, ses yeux dissimulant les ténèbres qui tourbillonnaient en lui. "Je suis juste… différent. C’est plus facile d’être seul."
Saeko inclina la tête, réfléchissant à ses mots. "Être différent n’est pas une mauvaise chose, Kaito. Parfois, ça fait de toi quelqu’un de spécial."
Il la fixa, ses pensées en conflit. Il y avait une part de lui qui voulait croire ses mots, mais une autre part, plus sombre, savait qu’il était bien au-delà de toute rédemption. "Merci, Saeko," murmura-t-il finalement, se levant du banc. "Je devrais rentrer maintenant."
Elle le regarda s’éloigner, sentant qu’il y avait plus derrière ce garçon énigmatique. Kaito, quant à lui, se demandait si cette interaction pourrait changer quelque chose en lui, ou si les ténèbres finiraient par tout engloutir.
Ayumi et Takashi arrivèrent devant la boutique d'antiquités. La petite vitrine exposait divers masques de Noh, chacun plus ancien et étrange que l'autre. L'intérieur, illuminé par une lumière tamisée, était encombré de meubles en bois, de statuettes, et d'autres artefacts anciens.
Le propriétaire, un homme âgé avec de petites lunettes rondes, les accueillit avec un sourire poli. "Que puis-je faire pour vous, mesdames et messieurs ?"
Ayumi montra sa plaque de police, rapidement suivie par celle de Takashi. "Nous enquêtons sur une série de meurtres impliquant des masques de Noh. Nous espérions que vous pourriez nous aider à identifier ces masques."
L'homme prit un instant pour étudier la plaque, puis hocha la tête avec une gravité visible. "C’est une affaire bien triste. Oui, je connais bien ces masques. Montrez-les-moi."
Ils lui montrèrent les photos des masques des scènes de crime. L’homme les examina attentivement, ajustant ses lunettes pour voir de plus près les détails.
"Ces masques sont d'une époque bien précise, et ils semblent avoir été créés par le même artisan, un maître du XVIIe siècle. Il est rare d'en voir autant au même endroit de nos jours," expliqua-t-il, la voix teintée d'une certaine admiration.
"Pouvez-vous nous dire où ces masques pourraient avoir été trouvés ou achetés ?" demanda Ayumi, le regard perçant.
"Peut-être… dans des ventes aux enchères spécialisées ou chez des collectionneurs privés. Mais il y a un endroit en particulier qui pourrait correspondre… Un marché noir de l'art, où des pièces comme celles-ci se négocient en secret."
Ayumi échangea un regard avec Takashi. Cette nouvelle piste était exactement ce dont ils avaient besoin. "Merci, nous allons suivre cette piste."
En quittant la boutique, une détermination renouvelée enflamma le cœur d'Ayumi. Le filet se resserrait, et elle pouvait sentir que le tueur commençait à montrer ses faiblesses. Ce jeu d'ombre et de lumière ne durerait plus longtemps.
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