La Forêt des Loups. Tel était le nom que les détenus donnaient au centre juvénile. Officiellement, il s’agissait d’un établissement correctionnel, mais ce n’était en réalité qu’un abattoir déguisé, un endroit où l’on envoyait les âmes perdues pour les broyer. Ici, il n’y avait ni réhabilitation ni espoir de rédemption. Ce lieu était conçu pour détruire, pour écraser les derniers fragments d’humanité des jeunes qu’on y enfermait.

Les couloirs étaient sales et sombres, les cellules humides et glaciales. Les rations de nourriture étaient insuffisantes, souvent infectes, laissant les détenus affamés, affaiblis. Les cris de douleur résonnaient à travers les murs épais, des cris auxquels personne ne prêtait attention. Les gardiens n’étaient pas là pour protéger, mais pour punir, pour s’assurer que le chaos régnait en maître. Chaque jour était une lutte pour la survie, chaque nuit un cauchemar sans fin.

Le système était impitoyable, conçu pour diviser, pour dresser les détenus les uns contre les autres. Les plus faibles servaient de jouets aux plus forts, et ceux qui tentaient de se rebeller étaient brisés de manière exemplaire. Ici, la violence était la seule loi, la seule monnaie d’échange.

Le jugement de Lucian fut rapide, implacable. On l’envoya dans cet enfer de béton sans la moindre hésitation. Le voyage en fourgon blindé dura des heures, l’air oppressant du véhicule alourdissant le silence. Lucian se sentait comme un animal en cage, conduit vers l’abattoir, mais une étincelle brûlait encore dans son cœur. Cette fois-ci, il ne se laisserait pas dévorer.

À son arrivée, les portes métalliques se refermèrent derrière lui avec un bruit sourd, marquant le début de son emprisonnement. La Forêt des Loups n’avait rien de l’endroit où l’on envoie les adolescents pour les redresser. C’était une jungle de béton où les plus forts dictaient les règles et où les faibles étaient broyés sans pitié. Mais pour Lucian, il n’y aurait ni pitié ni allié.

Les gardiens avaient été informés de son passé violent, du déchaînement brutal qui l’avait mené ici. Ils ne voyaient en lui qu’un danger potentiel, un problème à contenir. À leurs yeux, Lucian n’était pas là pour être réhabilité, mais pour être neutralisé. Leurs regards étaient durs, leur traitement encore plus sévère que celui réservé aux autres détenus. Il était constamment surveillé, chaque faux pas sanctionné sans merci.

Les autres détenus ne valaient pas mieux. Lucian n’avait pas l’apparence du prédateur typique de ce monde ; il n’était pas le plus grand ni le plus fort, et cette différence attisait les moqueries et les provocations. Dès son premier jour, il fut marqué comme un étranger, un paria à abattre. Chaque interaction était un test, une épreuve imposée par ceux qui régnaient déjà en maîtres. Certains cherchaient à l’intimider, d’autres à l’humilier. La haine était palpable, elle se lisait dans chaque rictus, chaque chuchotement qui circulait derrière son dos.

Mais Lucian n’était pas dupe. Il avait compris rapidement que dans ce lieu, il ne pouvait compter que sur lui-même. La solitude devint son armure, le silence son arme. Au lieu de réagir aux provocations, il les encaissa, laissant l’orage passer tout en observant attentivement. Il ne se laissait pas emporter par la colère, ne donnait à personne la satisfaction de le voir craquer. Au fond de lui, il alimentait la flamme de sa détermination, transformant chaque insulte, chaque coup bas, en une nouvelle pierre pour bâtir sa vengeance.

Lucian savait qu’il ne pouvait pas se permettre d’échouer. Tout le monde était contre lui, des gardiens aux détenus, mais il avait une force que personne ne pouvait lui enlever : son esprit. Il décida de jouer le jeu, de se montrer sous-estimé, pour mieux surprendre. Il traça son chemin dans l’ombre, cherchant à comprendre les faiblesses de ses ennemis, étudiant les dynamiques du centre, apprenant les alliances secrètes et les rivalités.

Petit à petit, Lucian utilisa les failles du système pour semer la discorde parmi ses adversaires. Ce n’était pas avec des gestes grandioses ni des démonstrations de force qu’il se faisait une place, mais avec une astuce subtile et une patience inflexible. Il avait observé les rivalités, les alliances et les faiblesses des détenus et des gardiens. Chaque détail était une pièce du puzzle qu’il assemblait avec précision.

Lucian commença par manipuler les tensions entre les différents groupes de détenus. Il s’immisça discrètement dans les conflits existants, exacerbant les querelles et les rivalités en plantant des graines de méfiance. Il connaissait les secrets des uns et des autres, les faiblesses et les ambitions, et il utilisa cette connaissance pour créer des fractures là où il y en avait. Il suscitait des rumeurs, distillait des informations trompeuses et fomentait des disputes, tout en se maintenant dans l’ombre, jamais directement impliqué mais toujours influent.

Ses manœuvres n’étaient pas sans risque. Il dut faire face à des tentatives d’intimidation, des provocations incessantes. Les jours passèrent, et chaque affrontement renforça son image de cible. Mais Lucian ne se laissait pas dérouter. Il savait que chaque épreuve était une occasion de se renforcer. Les attaques de ses adversaires devenaient des opportunités pour affiner ses stratégies, pour renforcer ses alliances et pour déstabiliser ceux qui le défiaient.

Le véritable tournant survint lorsqu’il parvint à gagner la confiance de certains détenus influents, non pas par la force mais par la manipulation subtile et la promesse de pouvoir. Lucian offrit son soutien en échange de leur loyauté, leur montrant comment ses connaissances pouvaient les aider à atteindre leurs propres objectifs. En utilisant ces alliances, il commença à créer un réseau d’informateurs et de partisans, transformant sa position de paria en celle de stratège influent.

Les gardiens, quant à eux, n’étaient pas épargnés. Lucian observa leurs comportements, découvrit leurs faiblesses et leurs corruptions. Il s’arrangea pour rendre certains incidents plus embarrassants qu’ils ne l’étaient réellement, exploitant leur peur et leurs failles pour obtenir des concessions ou des réductions de sanctions. Chaque geste, chaque complot était calculé pour affaiblir l’autorité du centre et pour accroître son propre pouvoir.

Avec le temps, Lucian commença à émerger comme une figure clé dans l’infrastructure complexe de la Forêt des Loups. Sa capacité à manipuler les gens, à comprendre les dynamiques du pouvoir et à transformer les conflits en opportunités lui permit de se faire respecter et craindre. Ses rivaux les plus puissants se retrouvaient ébranlés, incapables de contrer l’influence croissante de celui qu’ils avaient d’abord méprisé.

L’ascension de Lucian fut marquée par des changements subtils mais significatifs dans la manière dont il était perçu. Les autres détenus commencèrent à le considérer non seulement comme une menace, mais comme une force avec laquelle il fallait compter. Même les gardiens, malgré leur méfiance initiale, durent reconnaître que Lucian avait transformé les règles du jeu.

Dans les ombres, Lucian tissait sa toile avec une détermination froide. Chaque mouvement, chaque décision était calculé pour affirmer son contrôle et préparer le terrain pour sa vengeance future. Le centre juvénile, autrefois un lieu de souffrance et de désespoir, était devenu son terrain de jeu, un lieu où il manipulait les fils du pouvoir et où il façonnait son destin.

Sa transformation était presque complète. L’adolescent calme et effacé qu’il avait été était maintenant un stratège impitoyable, un maître de l’ombre qui avait su faire de son emprisonnement une école de pouvoir et de domination. Lucian se tenait prêt, car il savait que la vraie bataille, celle qui l’attendait au-delà de ces murs, n’était pas encore commencée. Sa vengeance, froide et méthodique, se préparait dans les recoins sombres de sa machination, prête à éclater avec une force qu’aucun de ses ennemis ne pourrait voir venir.

Cinq ans. Mille huit cent vingt-cinq jours d’enfer. Pour Lucian, ces années n’avaient été qu’un prélude, une préparation silencieuse et méthodique à ce qui allait suivre. Le jour de sa libération était enfin arrivé, mais pour lui, ce n’était pas une fin. C’était le début de quelque chose de bien plus sombre et plus dangereux.

Les portes de la Forêt des Loups s’ouvrirent avec un grincement sinistre, comme si elles-mêmes regrettaient de le laisser partir. Lucian franchit le seuil sans se retourner, laissant derrière lui les murs crasseux et les âmes brisées. À l’extérieur, le monde n’avait pas changé, mais lui, oui. Il n’était plus le jeune homme que l’on avait enfermé ici cinq ans plus tôt. Le garçon silencieux et effacé avait disparu, remplacé par une figure glaciale et déterminée.

Lucian inspira profondément l’air frais, savourant ce moment de liberté retrouvée. Mais il n’y avait pas de joie dans ses yeux, seulement une froide détermination. Il avait passé ces années à planifier, à peaufiner chaque détail de sa vengeance. Il avait attendu ce moment, patient et méthodique, prêt à frapper quand le monde s’y attendrait le moins.

Son esprit était clair. Ses ennemis étaient nombreux, mais il n’avait pas oublié un seul visage, pas un seul nom. Ceux qui l’avaient harcelé, humilié, brisé. Ceux qui l’avaient abandonné à son sort sans un regard en arrière. Lucian savait où ils étaient, ce qu’ils faisaient, et comment les atteindre.

La société avait continué sans lui, mais il avait gardé un œil sur elle depuis les ombres de sa cellule. Il avait utilisé les rares contacts qu’il avait pu maintenir pour se tenir informé, pour préparer le terrain. Le monde extérieur n’était pas un inconnu pour lui, et il ne comptait pas perdre de temps à s’y acclimater. Il avait un seul objectif en tête : la vengeance.

Lucian savait que la meilleure vengeance était celle que l’on n’attend pas. Il n’allait pas foncer tête baissée, non. Il était devenu un maître de la patience et de la stratégie, et il allait appliquer ces compétences avec une précision chirurgicale. Chaque coup serait calculé, chaque mouvement, mesuré. Il frapperait là où cela ferait le plus mal, et il savourerait chaque instant de leur chute.

Il savait où commencer. Le premier nom sur sa liste était celui de l’instigateur principal, celui qui avait orchestré son calvaire au lycée, celui qui avait fait de sa vie un enfer. Lucian s’était juré de le retrouver, de le confronter, et de lui faire payer pour chaque souffrance qu’il avait endurée.

Il avait déjà tout planifié. Il savait où le trouver, comment l’approcher. Il allait d’abord l’observer, comprendre sa vie actuelle, ses forces et ses faiblesses. Puis, quand le moment serait venu, il frapperait. Il ne laisserait aucune chance, aucune possibilité de rédemption. Ce serait rapide, implacable, et dévastateur.

Mais cela ne s’arrêterait pas là. Lucian n’était pas intéressé par une simple vendetta personnelle. Son ambition allait bien au-delà. Il voulait démanteler tout le réseau qui avait contribué à son emprisonnement, à son anéantissement. Tous ceux qui avaient eu un rôle, aussi minime soit-il, allaient tomber un par un. Lucian ne laisserait rien au hasard.

Les ténèbres qui avaient nourri sa haine pendant ces cinq années étaient désormais son allié le plus fidèle. Il était devenu une ombre, un fantôme, insaisissable et inarrêtable. Lucian n’avait plus peur, il n’avait plus rien à perdre. Et cela faisait de lui l’être le plus dangereux qui soit.

Il savait que son chemin serait long et semé d’embûches, mais il s’en moquait. Il avait survécu à l’enfer, et il était prêt à enchaîner les enfers pour obtenir ce qu’il voulait. Rien ne pourrait l’arrêter.

Alors qu’il s’éloignait de la Forêt des Loups, Lucian ne ressentait aucune nostalgie pour le passé. Il n’était plus ce jeune homme brisé qu’il avait été. Il était devenu bien plus que cela : il était devenu la vengeance incarnée.