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Eodum - Bedmates [TAEKOOK]

PROLOGUE - (L')INCONNU

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[PARTIE 1] CHAPITRE 1 - PUNAISES DE LIT

Kim Taehyung, 18 ans,

Octobre 2018, Séoul.

Je sors de la douche, une serviette autour des hanches. Je secoue la tête et des milliers de gouttelettes d’eau percutent le lavabo de la salle de bain ainsi que mon téléphone se trouvant dessus. Je peste intérieurement, j’aurais dû le laisser dans la chambre, mais comme tout le monde, j’ai cet appareil greffé au bout des doigts.

Je m’efforce d’essuyer mon appareil, espérant que les petits trous d’où sort le son ont survécu à cette inondation. Ensuite, j’attrape un nouveau tissu pour essorer mes cheveux, et je lève les yeux vers mon reflet dans le miroir. Je vois des cernes, je suis complètement épuisé, et il y a autant de raisons que de gouttes parsemant la glace.

Mon arrivée ici était donc un aller sans retour, et ce, officiellement depuis le 17 juillet. Je suis désormais un membre de Eodum, un nouveau groupe de cinq jeunes hommes se lançant aveuglément dans le monde de la K-Pop.

Pour la sortie d’un mini album, nous avons travaillé dur en oubliant ce que c’était une bonne nuit de sommeil. Cela fait maintenant deux ans que j’ai intégré ce dortoir et les journées se ressemblent douloureusement : un réveil aux aurores, une routine sportive, un cours de chant, le repas du midi, une répétition de dance, une nouvelle routine sportive avec des étirements, puis beaucoup d’écoute de musiques en tout genre. Viens seulement après dix-neuf heures le moment où nous pouvons enregistrer en studio, composer ou bien écrire, et enfin nous mangeons et nous nous douchons. Puis le lendemain se présente et la boucle se répète, inlassablement.

Mais cette dernière a commencé à voler en éclats puisque nous nous sommes lancés sur le marché et les choses risquent d’évoluer. Nous avons fait quelques live sur les réseaux sociaux et avons même tourné un clip pour l’une de nos chansons.

Dark shade, notre titre principal, nous présente comme des personnes complexes qui multiplient les paradoxes et les facettes. Cette chanson a été composée et produite par Yoongi, et écrite par Hoseok et Namjoon. Elle reflète assez justement nos pensées troubles et la direction artistique que nous souhaitons prendre. En tant que leader, Namjoon est venu à notre rencontre de manière individuelle pour recueillir nos sentiments, nos tourments face au futur et les mécanismes de défense que nous mettons en place lorsque l’angoisse nous prend. Cette chanson est un condensé des émotions de cinq jeunes hommes affrontant la tempête alors même qu’ils ignorent comment le faire.

« 미지의 고통을 마치 무기를 가진 것처럼 밀어냅니다 »

[« Je repousse la douleur de l’inconnu comme si j’avais une arme contre elle » - extrait des paroles de la chanson Dark shade.]

Dans la nouveauté qui nous attend, nous nous battons déjà face à un vaste public où nous nous savons attendus au tournant.

J’applique une noisette d’une lotion hydratante sur mon visage et me décide à troquer ma serviette pour un pyjama aux nombreuses rayures bleues. Je ne sèche pas mes cheveux, je sais déjà qu’ils vont subir la chaleur d’un fer demain lorsque l’on me préparera pour notre première émission.

Notre agence, bien que peu connue, est en train de se faire un nom grâce à un groupe de filles nommé Gloryz, lancé en 2015. Par conséquent, nous avons peu d’opportunités de nous retrouver à la télévision. C’est le moment de saisir notre chance et de nous révéler, alors nous n’avons pas le droit à l’erreur. Dernièrement, nous avons passé plus de douze heures par jour dans la salle de répétition pour nous entraîner à chanter et à danser en même temps. Il ne manque plus que certains détails techniques que nous verrons avec les ingénieurs du son pour que la tonalité de la musique et le retour de nos voix nous permettent de faire une excellente prestation.

Dans notre groupe, nous sommes tous très différents, j’ai pu le constater au fur et à mesure du temps, mais nous sommes en accord sur une chose : nous ne pouvons pas donner moins que deux cents pourcents. La fatigue ne doit pas nous empêcher d’être bons, nous ne nous le pardonnerions pas. Pas après tout ce travail.

Je regarde l’heure qu’affiche mon téléphone : deux heures sept.

La journée est enfin terminée et j’ai hâte de fermer les yeux pour me laisser emporter par le sommeil. Je sors de la salle de bain sur la pointe des pieds, le dortoir est des plus calmes. Mes coéquipiers sont tombés dans un sommeil profond à la minute où leurs têtes ont croisé le rebondi moelleux de leurs coussins.

Mais je me souviens maintenant de quelque chose et je soupire. Un vrai long soupire.

Ce dortoir n’est pas très grand, ni spacieux et ne nous offre que cinquante petits mètres carrés pour les cinq hommes que nous sommes. Alors c’est évident que nous partageons une chambre dans laquelle nous retrouvons le même nombre de matelas : deux lits superposés et un autre que nous avons installé dans un angle de la pièce.

C’est parfois difficile d’être constamment les uns sur les autres, mais deux ans plus tard, je ne me verrais plus vivre autrement.

Je traverse un couloir et me poste à l’encadrement de la porte de notre chambre. J’entends notre leader ronfler, ce qui brise le charme de son charisme naturel, mais je sais qu’il reviendra en force demain ; c’est le cas depuis le premier jour. Il est en effet devenu un ami, je dirais même qu’il s’agit d’un frère pour moi.

Je souffle à nouveau.

J’ai un problème.

Rien de très grave en soit, mais foutrement énervant.

Lorsque je suis arrivé à l’agence, on ne m’a pas vraiment laissé le choix du lit que je devais prendre : c’est celui du haut au fond de la pièce. Ayant le vertige, je n’étais pas très emballé par l’idée, mais je ne voulais pas faire d’histoire, alors je n’ai rien dit. Plus tard, j’ai demandé à échanger avec Jimin qui se trouve en dessous de moi, mais il m’a gentiment dit d’aller me faire. J’aime cet individu, cependant, j’ai appris que lorsque l’on vit et travaille toujours avec les mêmes personnes, on se passe aussi très facilement des formules de politesse et de l’hypocrisie qui permettent parfois d’éviter des disputes inutiles.

La chambre est partiellement éclairée, nous avons pris l’habitude de ne jamais fermer les rideaux. Nous aimons être bercés par les couleurs de la capitale, comme un rappel que chacune de ses lumières cache quelques battements de cœurs et que la boucle dans laquelle nous sommes enfermés n’est pas la réalité. Nous vivons dans une parenthèse un peu pailletée, et nous avons parfois besoin de nous souvenir que le monde continue de tourner autour de nous.

L’éclairage perçant à travers la fenêtre me permet d’arriver au milieu de la pièce sans accident.

Bon, voilà le moment d’affronter mon problème.

Je n’ai nulle part où dormir.

En effet, mon matelas a fait la connaissance de punaises de lit et lorsque j’ai commencé à me gratter jusqu’au sang, j’ai fini par en parler à mes colocataires. Nous avons jeté l’objet du délit et vérifié l’état des autres, et avons été soulagés d’apprendre que j’avais été la seule victime. Par contre, nous n’avons pas encore les moyens de le remplacer, ce qui fait de moi une âme errante la nuit.

Avec nos débuts récents en tant que groupe et les quelques ventes liées à notre mini album, nous commençons tout juste à rembourser ce que nous devons à l’agence. Ces deux dernières années, nous avons mangé, consommé de l’eau et de l’électricité, ainsi qu’habité un appartement. Nous finançons ceci maintenant que nous nous sommes lancés. Beaucoup de groupes se retrouvent complètement endettés avant même d’avoir pu monter sur une scène, mais j’espère qu’avec cette émission, nous pourrons toucher un plus large public, et ainsi éviter d’en arriver là.

En attendant, nous essayons de ne pas trop vivre au-dessus de nos moyens et économisons le plus possible.

Et pour ne pas tout gâcher, je ne peux pas me présenter devant la caméra avec des boutons sur le visage. En tant que visuel du groupe, je ne suis pas sûr que ça jouerait à notre avantage. Et le fait de dormir sur le sol depuis trois nuits non plus.

J’ai envie de râler, mais j’ai trop de respect pour les membres qui sont épuisés pour le faire vraiment. Nous n’avons pas de canapé alors le carrelage m’a paru être une bonne idée dans un premier temps, ne pouvant partager ma couche avec mes colocataires puisque leurs lits sont infiniment petits.

Enfin, il y en a bien un qui me semble un peu plus grand que les autres. Je louche dessus et observe le jeune homme qui y est endormi.

La couverture ne recouvre même pas la totalité de son torse, comme s’il avait eu la fainéantise de la remonter jusqu’au bout. Cette hypothèse se retrouve confirmée lorsque je constate qu’il n’a même pas boutonné sa chemise de nuit jusqu’en haut et que sa chevelure corbeau part dans tous les sens sur sa couche.

Jungkook se fiche de ce genre de détails, les seuls qui l’intéressent tournent autour du domaine artistique, du sport et de la nourriture. Le reste semble être une futilité dont il se passerait bien.

En tant que maknae en pleine croissante, il a été normal de lui laisser l’unique lit qui n’est pas superposé. Nos deux ans d’écart ne se ressentent pas nécessairement, il se montre tout aussi appliqué que chacun d’entre nous et ne se plaint jamais. Il peut parfois se montrer bougon, mais je n’en sais pas beaucoup plus sur lui. En effet, en deux ans, j’ai tissé des liens assez étroits avec chacun des membres qui m’apportent tous quelque chose à leur façon.

Mais c’est différent avec Jungkook.

Je crois qu’on ne se comprend pas et j’ignore qui il est vraiment. Nous ne nous disputons pas, nous n’avons simplement pas d’atomes crochus. Nous nous tolérons, tout au plus.

C’est pour ça que je ne lui ai pas demandé si je pouvais dormir avec lui, je n’osais pas. Mais je commence à avoir mal au dos et je veux être en forme pour affronter les prochains jours, voire les prochaines semaines.

Alors je m’avance encore un peu, jusqu’à me pencher sur lui.

Il a les traits du visage détendus, c’est presque nouveau pour moi de lui découvrir cette expression. Il semble en permanence sur le qui-vive, prêt à toujours se montrer parfait. Il ne se laisse jamais vraiment aller à dévoiler ce qu’il a sur le cœur et je crois savoir que c’est parce qu’il est timide. Il occupe pourtant la place centrale de notre groupe puisqu’il en est le chanteur principal, ce qui est un paradoxe des plus saisissant.

— Jungkook-a, chuchoté-je.

Je tente la manière douce, par principe, mais je sais que je vais devoir le secouer un peu. Notre maknae n’est pas du tout du matin et a un sommeil très lourd. Le réveiller est une tâche difficile à laquelle nous nous sommes tous essayés. Hoseok nous a un jour dit que le meilleur moyen était de lui tirer les cheveux, mais je n’ai pas le cœur à le sortir de sa torpeur avec une telle violence.

Je regarde à nouveau mon téléphone : deux heures seize.

— Jungkook-a, l’appelé-je encore en secouant doucement son bras.

Rien.

Je recommence un peu plus fort.

Toujours rien.

Je voulais lui demander la permission, mais il ne se réveille pas, alors tant pis pour lui.

J’attrape mes deux coussins, toujours au sol, et me glisse aussi discrètement que possible sous la couverture, du côté du mur. Je cale ma tête sur l’un d’eux, puis tourne le dos à mon voisin. J’enserre le deuxième oreiller en priant pour que je ne câline que lui.

J’ai une mauvaise manie lorsque je dors avec quelqu’un, je ne peux pas m’empêcher de l’attraper dans mon sommeil comme si je craignais que l’on me quitte. C’est peut-être le cas, je supporte assez mal la solitude. J’espère seulement que ces deux années à passer des nuits solitaires m’ont guéri de cette vieille habitude.

J’ai à peine le temps d’y penser que mes paupières s’abaissent et je tombe dans un coma plus que mérité.

~

Je me fais réveiller par un klaxon un peu insistant, mais je n’ouvre pas les yeux pour autant, seul le réveil me fera me lever et je ne l’ai pas entendu sonner. L’avantage de vivre à plusieurs et sur le même rythme, c’est que je ne crains jamais d’être réellement en retard. Quelqu’un finira tôt ou tard par me demander d’émerger.

Une douce senteur de vanille titille mes sens et c’est agréable, j’apprécie cette odeur réconfortante. Elle me rappelle mon enfance où je me bataillais sans cesse avec ma grand-mère pour qu’elle m’achète un gel douche avec ce parfum.

Je retrousse un peu le nez en recalant ma tête sur le coussin. Dans mon mouvement, la peau de mon visage frôle ce qui ressemble à des cheveux.

Ce n’est pas mon réveil, mais j’ouvre rapidement les paupières pour prendre conscience de la situation.

Merde, mes manies n’ont pas disparu. Mon front est collé à l’arrière de la tête de Jungkook et mes bras l’entourent comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde. Sa respiration est calme et les battements de son cœur contre ma main semblent tout aussi mesurés, me procurant un certain réconfort que je suis sûr d’être venu chercher dans la nuit.

Je décolle mon torse de son dos avec la plus grande douceur que je connaisse. Je soupire de soulagement lorsque je me rends compte qu’il est toujours profondément endormi. Heureusement que son sommeil est lourd, sinon j’aurais été vraiment gêné de la situation.

Je lui tourne à nouveau le dos et découvre mon oreiller que j’avais abandonné pour le noiraud. Je le serre contre moi comme si ça allait effacer l’épisode précédent.

Je sors mon téléphone de sous la couette pour voir l’heure, encore : trois heures trente-trois. Je suis dans ce lit depuis un peu plus d’une heure et mes vielles habitudes ont déjà recommencé.

Je n’arriverai jamais à m’en débarrasser.

CHAPITRE 2 - LIVE

Kim Taehyung, 18 ans,

Octobre 2018, Seoul.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? s'indigne une voix, à mi-chemin entre le cri et le chuchotement.

Mes yeux s'ouvrent d'eux-mêmes, je m'attends à ce qu'une tempête ait tout emporté sur son chemin pour que l'on me réveille ainsi.

Mes iris se posent sur tout autre chose. Je fais face à un Jungkook à moitié relevé sur un coude, le visage tourné de trois quarts vers l'arrière. Ses traits montrent qu'une certaine colère l'a envahie alors que ses lèvres forment une ligne droite.

Je constate alors que mon bras l'entoure à nouveau et que j'ai encore serré son corps contre le mien durant la nuit, dans une étreinte forcée. Immédiatement, je retire mon membre pour créer de l'espace entre nous, autant que ce maigre lit me le permet.

Il se retourne pour me faire face, toujours sur un coude.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? répète-t-il en murmurant cette fois-ci.

Il doit être encore tôt et il ne souhaite probablement pas réveiller les autres. Il s'assoit sur le lit, se tournant vers moi pour mieux m'envoyer des éclairs avec ses pupilles.

— Je suis désolé, j'ai essayé de te réveiller, mais...

— Je m'en fiche, qu'est-ce que tu fais dans mon lit ? me coupe-t-il d'un ton plein d'irritation.

Je grimace, ne m'ayant pas attendu à une réaction aussi agressive de sa part. Il est habituellement très mesuré, d'un calme presque soupçonneux. Je savais qu'il ne serait pas heureux en me trouvant là, mais je ne pensais pas que ça allait l'énerver à ce point.

— Je n'en pouvais plus de dormir au sol, dis-je avec douceur, tentant d'apaiser les choses.

— Et tu as cru que j'étais ta peluche ou quoi ?

Cette fois-ci, je me redresse, adoptant la même posture qu'il avait un peu plus tôt, et plante mon regard dans le sien. Ses iris sont encore plus noirs que d'habitude, me fusillant sur place, ce qui contraste avec ses traits angéliques.

— Je me suis excusé, je...

— Je me fous de tes excuses, râle-t-il, ne me laissant toujours pas terminer ma phrase.

Il est en train de me foutre en rogne. Je m'assois à mon tour, la pression montant un peu plus à chaque seconde.

— Tu vas arrêter de me couper la parole.

— Sinon quoi, hein ? me provoque-t-il en pointant son menton vers moi.

— Je suis ton ainé, tu me dois le respect.

Il rit à ma remarque.

— Alors on en est là ?

Sans plus de cérémonie, il se lève du lit et se dirige d'un pas décidé vers la salle de bain.

Je comprends que la situation l'a embarrassé, mais de là à agir ainsi ? On passe littéralement tout notre temps ensemble depuis deux ans, jour et nuit, je m'attendais à plus considération, je ne l'ai pas non plus agressé.

Jungkook est un mystère.

~

J'indique du doigt à l'équipe des ingénieurs du son d'augmenter le volume dans mes ears* parce que je m'entends mal. Je chantonne quelques mots puis envoie un pouce pour indiquer que c'est mieux.

— On va recommencer maintenant que le soundcheck a été fait, vous serez en conditions.

Notre chorégraphe nous a accompagnés pour notre répétition pour la scène de ce soir. Comme il s'agit de notre première représentation de cette envergure, il a souhaité nous entraîner une dernière fois avant notre passage. Dans quelques heures, nous passerons en direct sur une chaîne importante et la pression se fait grandement sentir. Nous faisons des erreurs que nous n'avons jamais faites auparavant, ce qui nous angoisse encore plus.

Avec les membres, nous nous plaçons tels que nous sommes censés l'être pour débuter la chanson. Je leur jette un regard, mes yeux se déplacent sur chacun d'entre eux, passant de Namjoon dont les doigts tremblent sur son micro, à Hoseok qui trépigne des jambes, Jimin qui fait craquer son cou, puis Jungkook se trouvant au centre, à ma gauche, qui prend quelques grandes inspirations.

Avec ce dernier, nous ne nous sommes pas reparlés de la journée, préférant nous ignorer. Etant donné l'anxiété qui nous habite tous, c'est peut-être mieux ainsi, nous pourrions être amenés à dire des choses que nous regretterions par la suite. La fatigue se ressent dans mes membres, les crampes ne sont pas loin, mais je tiens bon. Nous sommes cinq, je n'existe pas en tant que personne à part entière, pas ce soir. On compte les uns sur les autres, mes sentiments personnels n'ont rien à faire sur cette scène.

Je dormirai quand mon corps ne tiendra plus debout.

Dans mes oreilles, j'entends des percussions indiquant un décompte, puis la chanson démarre. Mes membres effectuent les gestes sans que mon cerveau n'ait le temps de les analyser vraiment, comme une vieille habitude.

Lorsque j'exécute un grand mouvement de glissement me permettant d'aller au centre, Jimin me percute de plein fouet. Nous n'avons pas été coordonnés et je peste intérieurement, mais la vie continue, tout comme la mélodie se poursuit. Puis c'est à mon tour de lui rentrer dedans.

La collision me fait tanguer tant elle était précipitée, violente.

— Putain, fulmine Jimin et toute la salle l'entend puisqu'il a juré dans son micro.

— On arrête. Les garçons, qu'est-ce qui vous arrive ? C'est la pression ou quoi ?

Même notre chorégraphe se met à râler. Je soupire, complètement exténué.

— Vous n'êtes pas du tout concentrés ! Cette performance peut vous aider à vous propulser, vous ne pouvez pas vous planter.

Je fixe le sol, le trouvant soudainement attirant. Mes doigts se serrent et se desserrent sur mon micro d'un noir parsemé d'arabesques dorées. C'est un choix très personnel qui me rappelle le collier en or de ma grand-mère qu'elle porte en guise de porte bonheur.

— Laissez-nous une pause de dix minutes, puis nous recommencerons, s'interpose Namjoon venu à notre rescousse. Les garçons, allons parler, finit-il par dire et je pince les lèvres.

Il demande ce temps, mais nous savons tous que nous ne l'avons pas vraiment. D'autres artistes doivent répéter, chaque minute compte.

Nous ne discutons pas sa demande et enlevons comme un seul homme nos boîtiers servant au son, puis nous nous retirons dans les coulisses. Nous nous suivons jusqu'à l'une des loges, celle qui nous est réservée. Nous passons devant les nombreux membres du personnel qui s'active tels une fourmilière.

Une fois la porte close, Namjoon soupire en se passant une main sur sa barbe inexistante.

— Je sais à quel point vous êtes à bout, je le vis tout autant que vous. J'ai mal au dos et j'ai tellement de crampes que me mettre debout le matin n'est pas toujours facile. Alors je sais, commence-t-il et nous baissons tous la tête. Vous avez le droit d'en avoir ras-le-bol, allez crier ou taper vos oreillers, mais une fois que l'on est sur scène, ça ne doit pas exister. Cette émission est peut-être le tournant de notre carrière. Nous n'avons pas travaillé si dur pour abandonner maintenant, je ne le permettrais pas, ajoute-t-il en s'avançant vers nous. Venez là.

Il nous tend ses bras et nous ne tardons pas à former un cercle, nous enserrant les uns les autres, les visages toujours braqués sur le sol alors que nos têtes se touchent. Je me retrouve entre Jimin et Hoseok, et mes mains s'échouent sur les épaules de notre leader et du maknae. Namjoon relève ses yeux sur nous et nous faisons de même, puisant la force dont nous avons besoin dans ce regard qui nous relie.

— En plus d'être collègues, n'oubliez pas que nous sommes une famille et que l'on se doit d'être présents les uns pour les autres. Unissons-nous et montons sur cette scène ensemble, continue notre leader.

Il place ensuite une main au centre et nous posons les nôtres par-dessus. Nous connaissons la suite, alors c'est simultanément que nous hurlons :

— Eodum !

— Montrons-leur ce dont nous sommes capables, enchaîne Hoseok avec un sourire tout juste retrouvé.

— Allons coudre des bouches, ris-je en laissant mon bras autour de ses épaules.

C'est avec une énergie nouvelle que nous replaçons nos oreillettes et le boîtier allant de pair.

Chantons et dansons d'une seule âme. Pour Eodum.

~

« Black shade,

I let you in so that you become my friend »

[« Teinte noire,

Je te laisse entrer pour que tu deviennes mon amie » - Extrait de la chanson Dark shade]

Je finis la chanson dans un souffle contenu, montrant une certaine forme de pudeur. Tout comme je me montrerais timide face à une douleur que je laisserais s'insérer en moi en ayant peur des dégâts qu'elle pourrait causer.

Je réouvre les yeux que j'avais fermé, me laissant emporter par cette mélodie pop, entraînante mais sombre.

Nous l'avons fait.

C'est la première réflexion que je me fais, la seconde est que les applaudissements envahissent toute la salle. Le public semble conquis mais j'ai peur de m'emballer, je crains les retomber, les critiques, les compliments.

Tout s'est bien passé, vraiment. Comme prévu, nous nous sommes donnés à deux cents pourcents, et je suis fier de nous.

Par principe, nous décidons de saluer la foule d'une courbure du dos, nos sourires ne disparaissant pas. Nous flottons sur un nuage peuplé d'acclamations.

Un membre de l'équipe de l'émission nous fait discrètement un signe pour nous indiquer qu'il est temps pour nous de quitter la scène, ce que nous faisons à reculons. Il est facile de prendre goût à ce genre d'encouragement, comme si nous étions récompensés pour tout le travail que nous avions fourni.

Nous descendons les marches puis atterrissons à nouveau dans les coulisses, dans ce fameux couloir prénommé fourmilière. Tout à coup, je sens qu'on me grimpe dessus et je reconnais immédiatement le rire de Jimin qui m'assaille les tympans.

— On l'a fait ! s'excite-t-il avec son côté enfantin auquel il est difficile de résister.

A ma gauche, je vois Hoseok monter sur le dos de Jungkook en rigolant franchement. Même ce bougon de maknae qui a passé la journée à faire la gueule semble heureux. Ça faisait un certain temps que je n'avais pas vu ce sourire sur son visage, celui qui fait apparaître cette petite fossette qui se montre bien trop timide, elle aussi.

Je tourne la tête et aperçois Namjoon qui nous observe de loin avec une mine satisfaite, comme un père verrait ses enfants passer un moment agréable. Il se réjouit sincèrement de nos joies, c'est ce qui fait de lui un incroyable leader, mais surtout le frère que j'aurais rêvé avoir. Et, en quelque part, je l'ai, ce frère.

~

— Vous êtes installés ? demande notre manager.

— Oui, Jin hyung, pour la millionième fois, le taquiné-je en roulant des yeux.

Deux bons mois avant que nous ne débutions, Kim Seokjin est devenu le manager du groupe. Il veille à ce que nous soyons bien traités, s'occupe de nos rendez-vous professionnels et s'assure que notre image ne soit pas entachée. Mais il a franchement outrepassé ses fonctions en devenant notre ami dès lors qu'il s'est mis à venir boire des verres avec nous. Lorsque, bourré, il est monté sur la table pour mimer l'une de nos danses avec un déhanché plus que douteux, nous l'avons complètement adopté. Il se montre tout aussi fêlé que nous le sommes, et c'est un critère important pour faire partie de l'aventure Eodum.

— Bon bah, je vais lancer le live alors, poursuit-il. Attendez ! Jungkook-ie, reboutonne ta chemise, on ne fait pas dans le X ici.

C'est un rire général, même nos maquilleuses et stylistes à l'arrière tentent vainement de cacher leurs sourires.

Je tourne la tête vers le concerné qui s'applique à se rhabiller. Il s'est installé à l'autre bout du canapé tandis que je suis à l'autre extrémité, aux côtés de Jimin.

Après la prestation, nous avons à peine eu le temps d'aller aux toilettes et d'éponger notre transpiration qu'on nous a foutus sur ce fichu sofa. La pièce empeste le déodorant, mais nous sommes tellement collés que la sueur se mélange à l'odeur ambiante, comme si nous nous trouvions dans un vestiaire de foot. La seule consolation est la nourriture présente sur la table basse, notamment le poulet sur lequel je louche depuis que mes fesses se sont posées ici.

Je meurs de faim et de soif, mais j'ai été bien élevé donc je vais attendre les autres.

— C'est bon ? interroge Jungkook alors qu'il louche aussi sérieusement sur les mets devant lui.

Jin ne répond pas, mais hoche la tête, nous savons alors que le live a débuté. Nous nous mettons à saluer les gens qui nous regardent à travers l'écran, et je fais de grands gestes avec mes mains. Je suis épuisé et profondément excité, tout ça en même temps. On dirait que j'ai bu trois tasses de café avant de venir ici, et c'est presque le cas. L'adrénaline que mon corps a produit durant la prestation a du mal à redescendre.

— Vous nous avez vus ? ne peut s'empêcher de demander Jimin en sautillant presque sur le canapé.

Je mets une main sur son épaule, l'encourageant à refréner son excitation parce que nous tenons à peine tous les cinq sur ce sofa. Mais un sourire mange mon visage, j'aime voir mes amis aussi heureux, c'est agréable.

Namjoon se saisit alors d'une tablette sur laquelle je sais qu'il peut y lire les différents commentaires.

— C'était un moment incroyable, poursuit Hoseok. Ça fait des mois qu'on se prépare et tout s'est passé trop vite, je n'arrive pas à réaliser.

— En plus, il y avait du monde, rajoute Jimin. La salle était pleine à craquer, j'ai eu l'impression qu'on allait accueillir des gens sur scène, se marre-t-il. Ça aurait pu être drôle.

— Lorsqu'on fera nos propres concerts, faisons monter des gens sur scène, dis-je, plus sérieux qu'il n'y paraît.

— Et toi, Jungkook-ie, l'interpelle Namjoon. Comment as-tu vécu ce moment ?

Je vois le concerné prendre une légère inspiration, probablement parce qu'il déteste l'exercice. Il n'est pas à l'aise avec les discours, il n'aime pas avoir trop d'attention sur lui. Sa timidité est une bête noire qu'il devra affronter s'il ne veut pas sombrer. Ce métier englobe une bonne dose de surexposition, et même si nous ne savons pas toujours comment la gérer, nous essayons d'y faire face du mieux que nous pouvons.

Lorsque j'ai vu le nombre d'abonnés que j'ai pris sur mon compte Instagram, j'ai commencé à voir flou. C'était et c'est toujours trop rapide, nous nous attendions à ce que les gens s'intéressent un tant soit peu à nous, mais jamais nous aurions pu espérer autant aussi vite.

— C'était impressionnant, commence-t-il en passant une main dans ses cheveux légèrement ondulés pour l'événement. On avait beaucoup de pression et je n'étais pas toujours sûr de moi, mais je pense que nous avons fait une bonne prestation. On a fait de notre mieux.

La plupart des membres lui sourit, se montrant encourageants. Mes yeux croisent ceux de Jungkook durant une seconde et je tente un petit rictus, mais il m'ignore prestement.

Okay.

— Les gens n'arrêtent pas d'envoyer des cœurs alors je crois qu'ils ont aimé la prestation, commente Namjoon alors que sa fossette apparaît sur sa joue droite.

Je suis obligé de me pencher vers l'avant afin d'avoir une vision d'ensemble, ce qui me pousse à me lever pour m'asseoir sur le sol, entre les jambes d'Hoseok. Je lui agrippe les mollets simplement pour l'embêter un peu. En réponse, il s'amuse à me décoiffer, ce qui me fait un peu râler, mais surtout rire.

— D'ailleurs, qu'est-ce que vous avez pensé de nos tenues ? demande Jimin en fixant sa veste. Perso, j'adore nos outfits, je trouve qu'ils collent vraiment avec le concept du titre.

— Ils sont aussi sombres que lumineux, rajouté-je.

Nous n'avons pas les mêmes vêtements, mais ils sont globalement noirs avec des touches d'argenté dessinant les courbes du tissu et mettant en valeur nos tailles et nos épaules.

— Et ils moulent bien les formes, pas vrai Jungkook-ie ? s'amuse Jimin, taquinant ouvertement le plus jeune.

Ce dernier se met à toussoter alors qu'il était en train de boire son soda. Cette vanne est née de nos essayages, lorsque Jungkook a eu du mal à boutonner son blazer en raison de la largeur de ses épaules. C'est probablement la raison pour laquelle il avait commencé à se mettre plus à l'aise un peu plus tôt.

Je ris dans ma barbe parce que l'embêter est le passe-temps favori de Jimin et Hoseok, qui se divertissent en lui envoyant des idioties de ce type, notamment en live lorsqu'il ne peut pas vraiment répliquer.

— Tu dis ça parce que mes fesses te plaisent Jimin-ssi hyung ? répond-il sans se débiner, mêlant politesse et insolence.

C'est à mon tour de recracher la boisson que je viens d'apporter à mes lèvres.

Jungkook est un paradoxe, il peut être plein de choses à la fois : timide, extravertie, renfermé, espiègle, et j'en passe. Je n'arrive tout simplement pas à suivre et ça peut être un peu déstabilisant.

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