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ENGENDREMENT~一代

Prologue

Point de vue de Chris :

Mes yeux se fermèrent, et une larme silencieuse roula sur ma joue. Bizarrement, j'étais en paix. Je n'avais plus peur. Je ne ressentais plus rien, à vrai dire. Seulement l'air frais qui chatouillait mon visage. Mon cœur s'était calmé de lui-même, et ma respiration régularisée. J'étais prêt.

— J'ai été ravi de te connaître, Christopher Warner.

J'affichai un rictus. Le bruit du coup de feu assourdit mes oreilles.

J'attendais une seconde, puis deux, puis trois... J'attendais que la balle me transperce le corps. J'attendais d'avoir mal quelque part. J'attendais de perdre l'équilibre et de plonger dans l'eau. Mais rien. J'avais parfaitement entendu ce coup de feu, pourtant. Toutes les personnes à proximité l'avaient sûrement entendu aussi. Je n'avais pas halluciné.

Troublé, je décidai d'ouvrir les yeux. La vision horripilante qui s'offrait à moi me donna le tournis, et je souhaitais que le sol se divise sous mes pieds et qu'un trou noir m'engloutisse. Non, putain... qu'est-ce qu'il lui a pris ?

Ayden était étendu par terre, noyé dans son sang, et a priori mort. À deux mètres de lui, se tenait Henri, un pistolet à la main, tremblant comme une feuille. Il sanglotait, suffoquant presque, et réalisant la gravité de ce qu'il venait de faire, il tomba à genoux. Moi-même, j'étais tétanisé. Il venait de me sauver. Il avait tiré sur Ayden pour me sauver la vie !

Prudemment, je descendis du rebord de ce foutu pont et courus vers le bouclé. Je lui arrachai le pistolet des mains et le jetai loin de lui, au risque qu'il fasse une autre connerie avec. Je pris ensuite son visage en coupe et l'obligeai à me regarder droit dans les yeux. Ses pupilles étaient dilatées et on distinguait peu le vert de ses iris noyées de larmes.

— C'est fini, Henri, je suis là. Tout va bien se passer, t'entends ? Tu ne crains rien, je suis là.

Il se blottit contre moi, et je le laissai faire. J'allais me mettre à chialer à mon tour. Cette journée était horrible, mais le cauchemar était enfin terminé. Ayden est mort.

— Je l'ai tué, suffoqua-t-il, je l'ai tué... je vais aller en prison... je l'ai tué !

— Non, c'était de la légitime défense. Tu m'as sauvé la vie, Henri. Il allait tirer, tu l'as juste devancé.

— Je suis un meurtrier...

C'était peine perdue, il n'écoutait pas un mot de ce que je lui disais. Le choc qu'il venait de subir était beaucoup trop violent.

— Henri, je te promets que tu n'iras pas en taule, ok ? Tu suivras une thérapie si nécessaire et tu iras mieux. Tu tourneras la page et tu oublieras tout ça. Je serai là pour toi. Les autres aussi. On t'a pas laissé tomber et on te laissera jamais, fais-moi confiance.

Je lui frottai le dos, et peu à peu, ses pleurs se calmèrent. Je soufflai. Ça allait être dur, vraiment très dur, mais ça ira mieux pour nous tous, j'étais optimiste.

Quand le brun se détacha de moi, je lui offris un sourire encourageant qu'il me rendit. Les fossettes de ce petit con m'avaient manqué.

— On fait quoi maintenant ? fixa-t-il le cadavre.

— On attend les flics...

— Ils vont nous croire, tu penses ?

Je soupirai.

— Ils doivent nous croire, on n'a pas d'autre choix.

Je me rapprochai lentement du corps inerte d'Ayden et m'accroupis à hauteur de son visage pâle. Ses yeux étaient fermés et ses lèvres closes. Son sang coulait encore, formant une flaque importante sous lui. La balle lui avait transpercé l'épaule, et bien que je ne sois pas médecin, ça m'étonnait que le coup lui ait été fatal ; aucun organe vital n'était touché. Perplexe, je plaçai deux doigts sur sa carotide pour vérifier son pouls. Mes yeux s'écarquillèrent.

— Il est toujours en vie.

Henri sauta sur ses pieds, totalement affolé.

— Quoi ?

— Son pouls est faible, il a perdu beaucoup de sang, mais il peut s'en sortir. On doit l'emmener tout de suite à l'hôpital !

— Non, hors de question ! refusa-t-il.

Je fronçai les sourcils.

— Comment ça non ? S'il reste en vie tu ne risques rien, Henri.

— S'il reste en vie il va tous nous éliminer. Il commencera par moi, tu seras le prochain, puis Chad et les autres...

— Il va croupir au fond d'une cellule, Scott. Il a kidnappé Isabella, il a essayé de me tuer et n'oublie pas ce qu'il t'a fait à toi... On va tous témoigner, on va le faire tomber, dis-je, convaincu.

Il rit faussement.

— Tu crois que ça sera facile de le faire tomber ? Ça sera sa parole contre la nôtre et on a aucune preuve, rien du tout. Ayden ne fait jamais rien au hasard. Il a pris beaucoup de risque ce soir et crois-moi, les flics ne trouveront absolument rien qui le relie de près ou de loin à ce qui s'est passé ici. Il prétendra que je suis un fou furieux qui l'a agressé... laisse-le crever, Chris, il ne mérite que ça.

Je contractai la mâchoire.

— On n'est pas des assassins. Je n'aurais pas sa mort sur la conscience et toi non plus. Il y a forcément un moyen de l'inculper pour tout ça...

— S'il t'avait tué, peut-être qu'on aurait pu le coincer, mais là, franchement, il va s'en tirer si on le sauve.

Mes yeux dérivèrent sur le pont. S'il m'avait tué. Évidemment. Je savais ce qu'il me restait à faire, mais c'était beaucoup trop dur pour moi de faire ça à Isabella. Elle n'allait pas s'en remettre. J'allais la détruire comme Alice m'avait détruit en m'abandonnant lâchement, mais je n'avais pas le choix. Je devais le faire, pour elle et pour notre avenir ensemble.

Ayden devait payer pour ses crimes. Je devais protéger ma femme, ma famille, mes amis, cette ville entière de ce démon. Mais c'était hors de question pour moi d'être responsable de sa mort. Le laisser mourir serait lui rendre service. Il devait être jugé, payer pour ses crimes, et pourquoi pas avoir l'aide psychologique dont il avait besoin...

— Henri, tu vas écouter attentivement ce que je vais te dire, et tu vas obéir sans poser de question, d'accord ? me rapprochai-je de lui.

Une lueur de panique envahit ses émeraudes.

— Tu vas appeler le 911, et quand on t'interrogera, tu diras que tu as tiré sur Ayden après qu'il ait tiré sur moi, pour me défendre, mais qu'il était trop tard...

— Quoi ? balbutia-t-il.

— Tu vas faire croire à tout le monde qu'Ayden m'a tué, et que mon corps est tombé dans l'eau. Ça leur prendra des semaines pour fouiller le détroit et ça sera largement suffisant pour réunir les preuves nécessaires pour le condamner ; pour trafic de drogue, séquestrations, proférations de menaces... quand il sera en détention.

— Attends, tu... tu veux simuler ta propre mort ? s'écria-t-il.

— Oui. J'ai disparu depuis des heures, les flics sont sûrement à ma recherche, ils goberont facilement ton histoire, Henri. Tu ne dois pas avoir peur, ça va bien se passer.

— Mais... Isabella et ta famille, tu vas leur dire la vérité, non ?

Mon cœur se serra.

— Non, tu mentiras à tout le monde, même à Isabella.

— Putain Chris, je ne peux pas faire ça ! Mentir sur sa déposition est un crime ! Et pense à ta femme, elle sera anéantie...

— Je sais, baissai-je la tête. Je vais quitter la ville, et tu vas faire ce que je t'ai dit, Henri. On va le coincer, je te le promets.

— Combien de temps... tu vas partir pendant combien de temps ?

— Je ne sais pas, le temps qu'il faudra. Je ne reviendrai que quand il sera derrière les barreaux.

— Tu vas avoir des problèmes, Chris, s'inquiéta-t-il.

— Je sais, mais ça ira pour moi.

Son téléphone vibra dans sa poche, il le récupéra pour lire le message qu'il venait de recevoir.

— C'est Chad. Il a retrouvé Isabella, elle est saine et sauve... putain ! Ils viennent te chercher ici, sur le pont !

Elle est sainte et sauve. Dieu merci...

— Merde, Chris, ils ne vont pas tarder ! paniqua-t-il.

— Je vais y aller... Je peux prendre ta voiture ?

— Oui, oui !

Il me lança ses clés, et je sortis mon téléphone que je jetai par terre, près du corps d'Ayden.

— Tu aurais un couteau sur toi par hasard ? lui demandai-je.

— Un couteau de poche, ça ira ? arqua-t-il les sourcils, hésitant.

— Oui.

Il me le passa. Avec amertume, je me dirigeai vers le rebord du pont et inspirai profondément avant de passer la lame sur ma paume. Je grimaçai, ravalant ma douleur, puis pressai mon poing, laissant mon sang glisser goutte à goutte sur la corniche.

— Putain t'es fou ! Pourquoi tu te mutiles ? s'ébranla-t-il.

— Pour être crédible, Scott. Ils ne trouveront pas mon corps, mais au moins, ils trouveront mon sang.

Une fois satisfait de la belle tache rougeâtre que j'avais laissée, je rendis le couteau à Henri et m'étanchais avec des mouchoirs. Je grimpai ensuite dans sa Ford rouge, et il déglutit nerveusement dès que je démarrai.

— On reste en contact. Prends soin d'Isabella pour moi, ok ?

— Ouais... Je stresse à l'idée de lui annoncer ton décès plus que de devoir mentir à la police, grimaça-t-il.

— Elle est forte, elle s'en remettra... Et puis, je reviendrai vite... j'espère.

— Où est-ce que tu vas aller ?

— À Brooklyn, répondis-je.

Il hocha la tête.

— Bonne chance, Christopher...

Qu'as-tu pensé du chapitre ?

Chapitre 1 : Ressemblance

Trois mois plus tard

Point de vue d'Isabella :

Elle parlait. Elle n'arrêtait pas de parler. Sa voix ressemblait à des bourdonnements d'insectes, irritants et agaçants. Des mouches importunent qu'on aurait envie d'écraser ou du moins, d'asperger d'insecticide. L'idée d'avoir une bouteille de ces substances actives et l'étouffer avec me traversait l'esprit. C'était horrible de penser ça de sa grand-mère, mais nom de Dieu, j'en pouvais plus.

Gérer ma grossesse était déjà une tâche ardue. Mon ventre prenait de l'ampleur, devenant de plus en plus lourd. Mes déplacements étaient devenus lents, et l'envie constante de m'asseoir rendait impossible de rester debout pendant de longues périodes. Une sensation de pesanteur dans mon utérus entravait mes trente minutes de marche quotidiennes, tandis que mes pieds engourdis semblaient marcher sur du verre. Mon dos me faisait souffrir, et la seule position confortable était de m'allonger sur le côté, un coussin d'allaitement entre mes jambes.

Concernant mes nausées matinales, elles avaient diminué - voir disparu - avec mes vomissements et mes maux de tête. Ma gynécologue m'avait assuré que le premier trimestre était le plus difficile et que je me familiariserais plus avec mes bébés au deuxième trimestre.

Oui, mes bébés. Deux. Des jumeaux.

Ma surprise fut sans limite lors de ma première échographie, et que ma gynéco m'avait annoncé l'heureuse nouvelle. Un diagnostic de chorionicité1 avait révélé la présence de deux placentas distincts, avec chaque embryon logé dans sa propre poche amniotique.

C'était de faux jumeaux, mais je ne connaissais pas encore leurs sexes. Peut-être aurais-je la réponse lors de ma prochaine échographie morphologique. Personnellement, je n'avais aucune préférence. Tout ce qui comptait pour moi, c'était qu'ils naissent en bonne santé et que l'accouchement se déroule sans encombre. La grossesse gémellaire comportait des risques, demandant davantage de repos et d'attention, une réalité qui semblait échapper à Irène, qui continuait de parler. Putain !

— Je ne permettrai pas que ton frère ternisse le nom de notre famille en fréquentant ce... profanateur !

— Il a un prénom, tu sais ? Sam. Et c'est un homme bien. J'ai rarement vu Sébastien aussi heureux, alors laisse-le vivre sa vie, et lâche-moi avec ça !

Mon frère avait fait son coming out, un mois et demi auparavant. Il avait annoncé à nos grands-parents qu'il était bisexuel. Inutile de souligner à quel point le choc avait été puissant pour Irène. Elle avait chuté sous le choc à ce moment-là, puis s'était cloîtrée dans sa chambre pendant une semaine, agenouillée devant la croix sacrée accrochée à son mur, priant le Seigneur de guérir Sébastien.

Il avait finalement partagé ses sentiments avec Sam, et ce dernier avait réagi avec une telle joie qu'il l'avait embrassé devant tout le monde dans son bar. Mon pauvre frère était très gêné. C'était son premier baiser avec un mec et il aurait préféré que ça se passe dans l'intimité, mais il était quand-même ému par l'enthousiasme du barman.

Depuis, ils sortaient officiellement ensemble. Ils prenaient les choses à leur rythme, laissant à Sam le temps de s'accommoder aux changements dans sa vie sentimentale et sexuelle. J'étais heureuse pour eux, de tout mon cœur, ils le méritaient.

— Tu as bien mangé ce midi ? changea-t-elle de sujet.

— Oui.

— Tu veux autre chose ? Tu as besoin de vitamines, Isabella, tu manges pour trois...

— Je suis au courant, grand-mère, je suis à la lettre les conseils du médecin, je n'ai pas besoin que tu me harcèles, merci ! m'irritai-je.

— Je m'inquiète pour toi... tu as arrêté de travailler, tu sors à peine de la maison, tu te forces à te nourrir, et tu dors très peu...

— Je vois que tu es bien renseigné, c'est génial. Je me sens beaucoup mieux maintenant ! fis-je sarcastiquement.

Non sans mal, je me levai du canapé, en manquant deux fois de retomber dessus, n'arrivant pas toujours à garder l'équilibre. Je posai mes mains sur mon ventre et me dirigeai vers la cuisine. J'étais enceinte de quatre mois et demi, mais mon ventre ressemblait à celui d'une femme enceinte de sept mois pour une grossesse normale.

J'avais l'impression que j'allais exploser tellement j'avais grossi. J'avais pris dix kilos en tout, et ma gynéco me répétait que j'allais devoir prendre entre cinq et dix autres d'ici l'accouchement. Je devais oublier mes complexes pour le bien-être de mes bébés. S'il fallait encore grossir pour eux, je le ferais.

— Pitié, faites-la partir d'ici, implorai-je Marie.

Elle m'offrit un sourire compatissant.

— Je ne peux pas la chasser, elle m'intimide.

— Je ne me gêne pas pour lui envoyer des piques mais elle fait la sourde oreille. J'en ai ma claque, je veux qu'elle s'en aille !

La brune se racla la gorge en fixant quelque chose par-dessus mon épaule.

— Il suffisait de le dire franchement, Isabella ! Ce n'est rien, je vais te laisser tranquille, mais n'hésite pas à m'appeler en cas de besoin.

Je devinais au son de sa voix qu'elle était vexée, et un peu triste, mais égoïstement ça me soulageait qu'elle comprenne enfin que j'avais besoin d'espace.

— À bientôt, grand-mère, la gratifiai-je d'un sourire.

Elle hocha de la tête puis s'en alla.

— Je vous prépare quelque chose ? me demanda Marie.

— Un chocolat chaud... Ces petits monstres ont besoin d'un peu de calories.

Je caressai mon ventre, sous le doux regard de la gouvernante.

— Ils ont donné des coups de pied ? m'interrogea-t-elle, curieuse.

— Non, pas encore... Ma gynéco me dit de ne pas m'inquiéter, ils sont quand même deux là-dedans, alors j'attends... Ça ne devrait pas tarder, je pense, je sais qu'ils seront aussi dynamiques que...

Je me tus, et mon visage perdit ses couleurs. Marie plissa le front.

— Aussi dynamiques que leur père, finit-elle à ma place. Je ne peux même pas imaginer à quel point c'est difficile pour vous, mais vous devriez en parler à quelqu'un, Isabella. Vous refoulez votre douleur et vous faites comme si tout allait bien, mais on sait tous que vous tenez le coup uniquement pour vos bébés, sans eux, vous serez effondrée, et ça, ils le ressentent. Ils ressentent votre chagrin...

Les larmes me montèrent aux yeux, mais je les ravalai aussitôt.

— Je serai dans ma chambre, n'oubliez pas mon chocolat chaud Marie, merci.

Je n'attendis pas de réponse et m'éclipsai. Monter les escaliers était une aventure, mais j'y arrivais avec de la volonté. C'était mon sport quotidien depuis trois mois déjà, et c'était important que mon corps ne s'habitue pas trop à la paresse.

Dans l'intimité de ma chambre, je me réfugiai dans un coin cocooning. J'occupai le fauteuil en cuir beige, allongeant mes jambes sur le repose-pied. Enveloppée d'un plaid, mon dos soutenu par un coussin moelleux, je me plongeai dans un cocon de réconfort.

Mon regard se perdait distraitement vers la fenêtre à ma droite. Les fins rideaux tirés dévoilaient une vue saisissante sur le ciel nuageux, accompagné d'une pluie généreuse. Le souffle du vent hivernal résonnait, provoquant des frissons sur ma peau.

Nous étions en janvier, et depuis des jours, le soleil se cachait. Le temps, morose, reflétait ma tristesse profonde, sombre, à l'image de mon cœur brisé en mille morceaux. J'avais appris à cohabiter avec la douleur, une sentence inévitable pour le reste de mes jours.

J'inspirai profondément en posant mes deux mains sur mon ventre. Je souris faiblement. Mes bébés étaient la seule chose qui pouvait me faire aimer encore un peu la vie. Je ne savais plus combien de fois j'avais souhaité le rejoindre. La souffrance, le désespoir et la colère étaient insupportables. Ma vie n'avait plus aucun sens, je n'étais plus d'un corps sans âme. Mais ils étaient là. Les jumeaux grandissaient en moi et s'accrochaient courageusement à la vie.

Les premières semaines étaient les plus difficiles. Les médecins m'avaient forcé à rester à l'hôpital, sous sérum et sous calmant, car je refusais de me nourrir, je ne dormais pas, et je ne faisais que pleurer et hurler sur tout le monde.

Pratiquement tous ceux qui m'entouraient pensaient que j'allais faire une fausse-couche, et quand j'avais découvert que j'attendais des jumeaux, ils avaient peur que l'un des deux embryons ne survive pas. D'ailleurs, ma gynécologue m'avait ordonné d'arrêter de travailler à cause de ça.

Mais finalement, mes bébés et moi leur avions prouvé à tous qu'ils avaient tort.

J'avais pris sur moi, j'avais séché mes larmes et j'avais décidé de survivre pour mes enfants. C'était ce que Chris aurait voulu. Il ne me l'aurait pas pardonné si je les avais perdus. Ils étaient la seule chose qui me restait de lui ; sa descendance, son héritage, son sang... Je devais les préserver, les mettre au monde et les élever dans les meilleures conditions qui soient. Je ne serai qu'une veuve malheureuse, mais je tiendrai le coup pour eux. Il le fallait.

Après les analyses sanguines réalisées à l'hôpital la nuit où j'avais découvert ma grossesse, j'avais dû subir ma première échographie, celle de la datation. Elle avait confirmé que j'étais enceinte de six semaines à ce stade.

Bien que j'aie passé la moitié de mon premier trimestre sans savoir que j'étais enceinte, j'avais au moins partagé ce temps avec lui. Même s'il ne rencontrera jamais ses enfants, je lui serai éternellement reconnaissante de m'avoir laissé ce précieux cadeau.

On avait organisé des obsèques, Marilyn en avait besoin pour faire son deuil, même si la disparition de son enfant unique n'était pas quelque chose de facile à surmonter. La tombe était vide. Trois mois s'étaient écoulés et on n'avait toujours pas trouvé son corps.

Plusieurs théories étaient évoquées ; que le courant d'eau fût si violent cette nuit-là que son corps avait été empoté très loin, jusqu'à Brooklyn, au Queens, ou encore à Bronx... D'autres accusaient Ayden d'avoir pêché son cadavre et de l'avoir enterré quelque part pour le cacher...

Je trouvais ses suppositions stupides, surtout la dernière.

Ayden était noyé dans son sang quand la police l'avait trouvé, blessé par balle. Grâce à la déposition d'Henri, de Chad et de la mienne, il avait été incarcéré dans un hôpital psychiatrique. Des spécialistes avaient décrété qu'il n'était pas en état de rester en détention, suite aux tests psychologiques qu'ils lui avaient fait passer.

Chad et ses amis avaient rassemblé toutes les preuves qu'ils pouvaient trouver pour entamer un procès, mais c'était très peu selon les avocats. La seule façon d'emprisonner ce cinglé serait de trouver le corps de Chris et d'établir une autopsie. Sans cela, il allait s'en sortir.

Bizarrement, il avait décliné l'assistance d'un avocat pour le représenter. Dès son réveil à l'hôpital, il avait livré sa déposition, affirmant n'avoir jamais appuyé sur la détente. Il était passé sous détecteur de mensonges et l'inspecteur chargé de l'enquête était quasi-convaincu qu'il disait la vérité.

C'était donc sa parole contre celle d'Henri.

On était tous d'accord pour dire qu'Ayden était un malade, un sadique, un manipulateur, mais aux yeux de la loi, ce n'était pas suffisant. Les flics avaient trouvé le sang de Chris sur le pont, il l'avait donc blessé, peut-être avec une arme blanche, mais il n'y avait pas de résidu de poudre à part celui du pistolet d'Henri.

Le flingue d'Ayden était chargé, et deux balles y manquaient. Des gens à proximité de la scène de crime avaient témoigné n'avoir entendu qu'un seul coup de feu cette nuit-là... Alors quoi ? Chris aurait sauté ? On l'aurait poussé du pont après l'avoir blessé avec un couteau ?

Toutes ces interrogations m'avaient poussé à aller interroger Ayden moi-même, à l'asile psychiatrique où il séjournait, et ce qu'il m'avait dit me troublait encore : « Si tu veux vraiment le retrouver, annonce ta grossesse au monde entier... Chris a plus peur de l'abandon que de la mort et il accourra à la seconde où il apprendra qu'il va être père... »

Puis il m'avait regardé droit dans les yeux en jurant ne pas avoir pressé la détente ; de ne pas avoir tué mon mari, et en accusant Henri de me cacher des choses.

J'avouais être totalement larguée. D'un côté, Henri affirmait qu'il avait vu de ses propres yeux Ayden tirer sur Chris et ce dernier tomber du pont, mais d'un autre, j'avais l'étrange pressentiment que mon mari était toujours là, quelque part.

J'étais peut-être folle, dans le déni, ou désespérée, mais notre connexion était forte. Si son cœur avait cessé de battre, je l'aurais ressenti. On n'était pas dans un film à l'eau de rose, mais putain, je l'aurais ressenti. J'aurais su que c'était fini, qu'il était réellement parti... ajouter à cela ma grossesse, j'étais convaincue que mes bébés le ressentaient aussi, aussi minuscules soient-ils, ils le sentaient forcément si leur père était toujours en vie, quelque part...

J'entrai dans le fast-food, en serrant mon manteau noir contre moi. Ces foutus paparazzis n'avaient pas mieux à faire que me harceler à chaque fois que je mettais un pied dehors. Au début, j'arrivais à dissimuler mon ventre, mais là, ça devenait très difficile.

À l'extérieur, je portais des sweats larges, des manteaux qui faisaient deux fois ma taille, et j'évitais tout ce qui était moulant. Dans d'autres circonstances, j'aurais mis ma silhouette de femme enceinte en valeur, mais là, je voulais cacher ma grossesse le plus longtemps possible pour ne pas rajouter du brasier sur le feu allumé depuis trois mois déjà dans les médias sociaux.

Malgré les imperfections corporelles que je pouvais avoir, je trouvais cela merveilleux que de porter un bébé pendant neuf mois, de le faire grandir en soi, de le mettre au monde, etc. Aussi loin que je m'en souvienne, je voulais profiter au maximum de ma grossesse, me sentir belle et valorisée, mais aujourd'hui, je me cachais. J'avais hâte que les bébés naissent et que je retrouve une vie un tant soit peu normale... Mais sans lui, rien ne sera comme avant.

— Vous désirez madame ?

Je relevai les yeux vers le serveur qui me souriait. Ses yeux virèrent sur mon ventre et son sourire se transforma en une moue compatissante. Je soufflai discrètement. Je ressemblais à une femme proche du terme, alors que je savourais à peine les joies du second trimestre.

— Un hamburger avec supplément frites et un milk-shake aux fraises, s'il vous plaît.

Il acquiesça, et disparut aussitôt qu'il était venu. Je me débarrassai de mon manteau et m'installai confortablement. Cet endroit me rendait nostalgique et mes larmes menaçaient d'inonder mon visage. C'était là que je venais déjeuner avec Chris. Je savais que je me faisais du mal en revenant ici, mais j'en avais besoin. Je devais voir la réalité en face et accepter le fait qu'il ne soit plus là. Je devais faire mon deuil.

— Excusez-moi ?

Croyant que c'était le serveur qui revenait déjà, je relevai la tête en souriant, mais mon visage se ferma en voyant un homme, brun avec les cheveux plaqués en arrière. Sa carrure parfaite était limite troublante, son pull moulant épousait parfaitement bien son torse, mettant en valeur les muscles de ses pectoraux et de ses biceps, et son parfum de luxe me donna la nausée - l'odorat surdéveloppé, merci la grossesse.

Je plongeais quelques secondes dans ses yeux bleus mystérieux. Son sourire éclatant et ses dents impeccablement alignés et blanches me déstabilisaient. Objectivement, il était très beau, sexy même. Et je dirais arrogant rien qu'à sa façon de me regarder.

— Oui ? répondis-je poliment.

— Je ne voudrais pas vous importuner, mais vous semblez... triste, et en tant que gentleman, je ne peux pas voir une femme aussi ravissante que vous dans cet état et ne pas intervenir.

Un beau parleur en plus.

— Merci, mais je suis en très bonne compagnie.

Il fronça les sourcils, et quand il aperçut mes bras autour de mon ventre, il ne sourcilla pas. Etrange, ce bonhomme. D'habitude, les hommes fuyaient les femmes enceintes et les mères célibataires. Les gosses ça serait trop compliqué pour eux surtout quand ils cherchaient uniquement à tremper leurs nouilles dans des sauces toute fraîches.

— Oh... vous êtes mariée ?

Ma bague de fiançailles et mon alliance qui brillaient au reflet du soleil, attirèrent son attention. Il ne semblait cependant toujours pas si perturbé que ça.

— Oui, répondis-je légèrement agacée.

— Je n'essaye pas de vous draguer, vous savez ? Je pense juste que ça vous ferait du bien, un peu de compagnie, personne ne devrait se sentir seul et mélancolique.

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Chapitre 1 : Ressemblance ( la suite )

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Une boule se forma dans son ventre, mais je ne parvins pas à articuler que le serveur revint avec ma commande. La présence de l'homme séduisant et coriace, debout à ma droite, l'interpella :

— Un problème madame ?

— Non, aucun, merci.

Il hocha la tête, puis repartit.

— Vous voulez vous asseoir ? proposai-je.

— Ça ne vous ennuie pas ?

— Vous êtes toujours planté là alors autant vous asseoir...

Je n'avais pas spécialement envie de sympathiser avec lui, je ne le connaissais pas, et sa ressemblance avec Chris me bouleversait, mais s'il n'avait pas bougé de là, ça voulait dire qu'il était obstiné à discuter avec moi. Je découvrirais bien ses intentions.

Souriant, il s'installa en face de moi et appela le serveur pour commander la même chose que moi. Je mâchais tranquillement mes frites en évitant son regard.

— Moi c'est Jason, en fait, me tendit-il sa main.

2

— Isabella Warner, répondis-je.

— Oh, on se donne nos noms complets... ok, dans ce cas, je suis Jason Brown, enchanté.

J'émis un petit rire amusé.

— Warner, c'est le nom de votre mari, c'est ça ?

— Oui.

— Warner comme Chris Warner ?

Mon visage se décomposa, et mon regard noir le fit déglutir.

— Je suis désolé, je ne le connais pas personnellement, mais je regarde les infos et...

— Oui, c'est mon mari. C'était mon mari. Il est mort et je suis enceinte. Je suis triste et seule. J'ai le cœur en morceaux et j'en veux à la terre entière, ça vous va comme ça ?

J'avais haussé le ton sans m'en rendre compte, attirant l'attention de quelques personnes autour de nous. Jason semblait gêné, et se frotta nerveusement les mains, les yeux au sol. J'inspirai profondément, reprenant mon sang-froid.

— Excusez-moi, je ne voulais pas...

— Il n'y a pas de problème, c'est normal que vous régissiez comme ça. Vous ne me connaissez pas et je viens vous embêter à votre table en vous posant des questions personnelles... Je suis désolé pour votre mari... Vous voulez que je vous laisse tranquille ?

Il semblait sincère et la culpabilité se lisait dans ses beaux yeux azur.

— Non, restez. Ça ne me ferait pas de mal un peu de compagnie...

— Vous pouvez vous confier à moi si vous voulez... Parfois, ça fait du bien de parler à un inconnu, ça nous évite d'être jugés et on peut même avoir un avis et des conseils objectifs.

Je haussai les épaules.

— Chris est mort il y a trois mois, son corps n'a toujours pas été retrouvé et l'enfoiré qui l'a tué est dans un hôpital psychiatrique. J'essaye de tenir le coup pour mes bébés, mais c'est trop dur. Il me manque, je n'ai même pas pu lui dire adieu... Je garde un infime espoir pour qu'il soit toujours en vie, quelque part... Mais je sais qu'un jour ou l'autre son corps va être retrouvé et là, je ne sais pas si j'arriverais à ne pas m'effondrer...

— Des jumeaux ?

Ses yeux restaient bloqués sur mon ventre, la bouche entrouverte. C'était tout ce qu'il avait retenu de ce que je venais de dire ?

— Oui, répondis-je.

— Des faux ou des vrais ?

— Des faux, mais je ne connais pas encore leurs sexes.

— Wow... Félicitations.

Je souris timidement.

— Merci.

— Vous avez des jumeaux dans la famille ?

— Non, dans celle de mon mari non plus. Mes bébés sont... miraculeux.

La vérité étant que j'avais ce qu'on appelait ; la poly-ovulation2, ou double ovulation. Cette caractéristique était d'origine génétique ; ma grand-mère maternelle la possédait, bien qu'elle n'ait jamais donné naissance à des jumeaux. Je ne savais pas si mes ancêtres avaient eu des grossesses gémellaires, mais en tout cas, j'étais la seule de mon époque.

— Moi-même, je suis un jumeau, avoua-t-il.

Mes yeux s'arrondirent.

— Vraiment ?

Il affichait un petit sourire timide, mais j'interceptais une profonde tristesse dans son regard.

— Oui, mon frère et moi, on est des jumeaux dizygotes... On n'est pas seulement frères, on est jumeau et pourtant, on ne croirait pas.

Je fronçai les sourcils, confuse par ses paroles. Comment ça ? Ils ne se ressemblaient pas tant que ça ou bien... ?

Rapidement, je remarquais que son regard avait changé, je pouvais distinguer de la colère dans ses prunelles étincelantes.

— Tout va bien ? demandai-je, hésitante.

— Ouais, ne vous en faites pas, c'est juste que je n'ai pas vu mon frère depuis très longtemps... Notre séparation était difficile et je ne conserve pas de souvenirs très joyeux de notre enfance...

2

C'était un sujet sensible qui le touchait personnellement. J'étais curieuse d'en savoir plus sur son histoire, mais je ne voulais pas paraître indiscrète et plomber l'ambiance. Ainsi, je me dépêchais de changer de sujet ce qui me valut un beau sourire de sa part.

C'était fou comme il me faisait penser à Chris.

***

Point de vue de Chris :

Un bar ne m'avait jamais semblé aussi immense. Celui de Sam me manquait. J'adorais ses vieux tabourets vintages, ceux de cet établissement étaient plus modernes, plus confortables.

Je fixai le verre encore plein devant moi, tout en jouant avec mon alliance, perdu dans mes pensées. Je sentais un regard insistant sur moi, me déstabilisant légèrement. Je relevai alors les yeux vers la barmaid, et elle me gratifia un sourire désolé. Je fronçai les sourcils.

— Une mauvaise journée ? m'aborda-t-elle.

— Une mauvaise période, je dirais.

— Avec le temps qu'il fait dehors, c'est compréhensible !

Je détournai le regard. Son grand sourire éclatant, ses yeux bleus pétillants et ses cheveux blonds, légèrement foncés, me rappelaient Isabella. Perturbé et désorienté, j'en étais arrivé au point de changer de chemin chaque fois que je croisais une femme blonde dans la rue. C'était stupide, mais j'étais au bord du gouffre. J'allais craquer à force de rester coincé dans cette ville, à tourner en rond, à me faire discret...

— Une dispute avec votre épouse ? osa-t-elle demander.

Je la dévisageai, m'en foutant pas mal de paraître malpoli.

— Désolée, mais... vous ne lâchez pas votre alliance. Il y a une trace sur votre annulaire qui prouve que vous ne l'enlevez jamais... Je connais peu d'hommes mariés qui gardent leurs alliances quand ils viennent ici pour pécho des donzelles.

J'affichai un rictus malgré moi.

— L'homme est un éternel insatisfait, n'est-ce pas ?

— Ces hommes dont je vous parle sont hideux, grimaça-t-elle. Mais vous, vous êtes... Je n'essaye pas de vous draguer hein, loin de là, mais vous êtes super sexy si on fait abstraction de vos cernes...

— Je parie que vous dites cela à tous vos clients, la taquinai-je.

— Non, répondit-elle. Je vous l'ai dit, ils sont vieux et très laids.

— Je suis loin d'être une star d'Hollywood, n'exagérez pas, roulai-je des yeux.

— Vous devriez postuler pour le mannequinat, j'en suis sûre que vous serez pris avec le physique et le corps que vous avez !

Ma bouche s'entrouvrit. Elle était trop directe, quand même.

— Vous n'avez pas peur que je sois un tueur en série ou un sociopathe ?

— Alors votre femme vous a quitté pour ça ? Parce que vous tuez des jeunes femmes pour le plaisir ?

Je secouai la tête, souriant faiblement.

— Elle ne m'a pas quitté, je l'ai abandonné.

Elle arqua les sourcils, curieuse d'en savoir plus. J'attrapai le verre devant moi et l'ingurgitai d'une traite. Voilà ce que je faisais depuis trois mois ; je noyais mon chagrin dans l'alcool.

— Elle croit que je suis mort...

— Quoi ? écarquilla-t-elle les yeux. Vous plaisantez ?

— Non.

Elle s'accouda au comptoir, et me regarda fixement, semblant réfléchir.

— Attendez... Vous êtes le millionnaire qui a été assassiné sur le pont de Manhattan ? Oh, mon Dieu !

Merde. L'alcool, c'était une vraie saloperie. Par réflexe, je regardais autour de moi, m'assurant que personne n'écoute notre conversation. Je me reconcentrai sur la blonde que j'avais laissée tétanisée, les yeux ronds comme des billes.

— Chris Warner, me présentai-je.

— C'est vraiment vous ! Putain !

Je ne savais pas ce qui m'avait pris de me confier à elle, de prendre un si grand risque, mais il y avait quelque chose chez elle qui me rappelait ma femme. Au fond de moi, je savais que je pouvais avoir confiance en elle, elle était barmaid, après tout.

— Kimberly. Kim pour les intimes, se présenta-elle. Je n'arrive pas à croire que c'est vous, et que vous êtes en vie ! Mais... pourquoi vous cacher ? Pourquoi avoir simulé votre mort ?

— Pour protéger mes proches du type qui a essayé de me tuer, racontai-je.

— Votre femme... J'ai son nom sur le bout de la langue, c'est... Élizabeth ?

— Isabella, la corrigeai-je en souriant.

— Oui ! J'ai vu ses photos, elle est tellement belle... Je comprends que vous ne cherchez pas à voir ailleurs, elle doit vous combler.

C'était peu de le dire.

— Elle est incroyable, lâchai-je, nostalgique.

— Je ne sais pas exactement ce qui vous est arrivé, mais je ne pense pas que vous cacher soit la solution. Vous devriez retourner chez vous, auprès de votre épouse qui doit être anéantie par votre disparition... Vous êtes un couple, des partenaires, vous devez affronter vos problèmes ensemble, main dans la main... Pour le meilleur et pour le pire.

Je contractai la mâchoire, sentant mon cœur éclater en morceaux pour la énième fois.

— Servez-moi un autre verre, esquivai-je.

Elle roula des yeux, bien que peinée par ma situation déplorable, et s'exécuta. Je le bus cul sec, m'en fichant des effets néfastes que ça aura sur moi. Je voulais tout oublier, mais c'était impossible, même défoncé à l'extrême.

— Réfléchissez-y, Chris, pensez à votre femme.

Je ne faisais que ça... Je ne fais que penser à elle.

***

Je venais de franchir la porte de l'appartement que j'occupais depuis mon arrivée à Brooklyn. Il était banal, composé d'une chambre, une salle de bain, et une petite cuisine s'ouvrant sur le salon. Il n'avait rien à voir avec mon appartement à Manhattan, aussi spacieux et luxueux, mais j'étais tranquille ici.

Le propriétaire ne m'avait posé aucune question quand j'avais emménagé et ça me convenait. Henri passait me voir deux fois par mois, il me donnait de l'argent en liquide pour payer mon loyer et mes courses. Je ne pouvais pas utiliser mes cartes bancaires, évidemment, et pour mes déplacements et bien... je prenais le bus.

Ma vie aisée me manquait terriblement. Ma voiture me manquait, ma maison me manquait, même l'entreprise me manquait... Mais par-dessus tout ; ma famille et surtout Isabella me manquaient. Mon chagrin était double, sachant que ma mère était effondrée.

Henri m'avait raconté brièvement qu'ils avaient organisé des funérailles. Il y avait une putain de tombe à mon nom, vide. L'enquête d'Ayden n'avançait pas aussi bien qu'on l'aurait voulu. Il était en hôpital psychiatrique au lieu d'être en prison et tant que mon corps restait introuvable, l'enquête demeurait en suspens.

Tout ce que j'avais fait n'avait servi à rien. Je m'étais enfui comme un lâche, simulé ma propre mort, obligé Henri à mentir à tout le monde et tout ça pourquoi ? Pour qu'Ayden soit bien au chaud dans une chambre d'hôpital avec des infirmières à son chevet.

Sincèrement, je voulais qu'il reçoive les soins dont il avait besoin. Il y avait peut-être une infime chance pour qu'il retrouve sa sensibilité, son empathie, son humanité, mais moi dans tout cela ? Je ne pouvais pas rester ici éternellement.

La barmaid avait raison, ce n'était pas la solution. Je devrais être auprès d'Isabella, et ensemble nous affronterons Ayden. Si seulement j'étais resté pour attendre les secours avec Henri cette nuit-là, les choses auraient été différentes, aujourd'hui.

Cela dit, j'étais encore sous le choc depuis cette nuit-là. Le fait que mon « meilleur ami » ait carrément kidnappé mon épouse et menacé de laisser ses hommes abuser d'elle me laissait penser qu'elle était mieux sans moi. Je n'avais fait que lui attirer des ennuis.

Elle avait une vie paisible avant de me rencontrer. Et certes elle disait être heureuse avec moi, ce n'était pas suffisant. Elle devait être en sécurité. Ce n'était pas normal que sa vie soit menacée. Elle était tranquille maintenant. Personne ne s'en prendra à elle sachant que je n'étais plus là... que j'étais mort.

Mes pensées furent interrompues par le son de mon téléphone qui retentit dans ma poche. Je décrochai hâtivement, sachant que c'était Henri. Il était le seul à connaître mon nouveau numéro, et le seul avec qui j'étais en contact.

— Salut Chris...

— Salut ! Tout va bien ? Isabella va bien ?

— Oui, comme d'habitude, répondit-il d'une petite voix.

— Quoi ? C'est tout ? Comment elle va, putain !?

— Sa grand-mère ne la lâche pas, elle est bien entourée. Je suis passé lui rendre visite et elle était dans sa chambre en train de... de... lire un bouquin.

Je fronçai les sourcils.

— Elle n'est plus malade, tu es sûr ? Les médecins ont bien dit qu'elle avait une gastrite... Est-ce qu'elle va mieux ?

— Oui, elle suit un traitement et ça va mieux, me rassura-t-il.

Je soufflai de soulagement. Henri m'avait expliqué qu'Isabella avait consulté pour comprendre ce qu'elle avait ; pourquoi elle vomissait et avait des nausées aussi fréquentes. Verdict : elle souffrait d'inflammation à l'estomac. Ce n'était pas très grave et elle guérira vite en prenant convenablement ses médicaments. J'étais heureux que ça ne soit pas autre chose, une grave maladie ou autre... Et ce n'était pas la pilule, finalement.

— Et toi ça va ? me demanda-t-il.

— Ça peut aller, je tiens le coup comme je peux.

— Rien n'a changé, tu sais... pour Ayden.

Je soupirai. J'avais besoin d'un autre verre.

— Ça prendra du temps, Henri, ce n'est pas grave.

— Bien sûr que si, c'est grave ! Ça fait trois mois ! Tu comptes rester mort encore combien de temps ? Toute une année, ou plus ? s'irrita-t-il.

— Tu veux que je fasse quoi, bordel ? Que je débarque chez moi, tout sourire, en criant « hé, salut, je suis en vie ! »

— S'il le faut, oui... je culpabilise, Chris... il faut que tu rentres avant juin...

Je me grattai la nuque.

— Pourquoi « juin » ?

— Pour rien... pour rien...

Sa voix se brisa à la fin.

— Henri, si tu me caches quelque chose, je te jure...

— Non ! Je ne te cache rien, je te le promets...

— Alors pourquoi je devrais rentrer avant le mois de juin ? insistai-je.

— Pour... ton anniversaire de mariage, improvisa-t-il.

Bordel, s'il était devant moi à cet instant, je l'aurais étripé.

— Tu es sérieux là ? Ma vie, la tienne et toutes celles de mes proches sont menacées et toi, tu me parles de mon anniversaire de mariage qui est en juillet ?!

— Désolé... je me suis dit que c'est important que tu sois avec ta femme à ce moment-là, et que tu ne dépasses pas ce délai en jouant au mort...

— Ce n'est pas un jeu, Scott ! m'énervai-je. Tu crois que je n'ai pas envie de retrouver ma femme ? Putain ! Mais ce n'est pas aussi simple, je ne peux pas risquer de tout foutre en l'air en débarquant comme ça !

Je l'entendis soupirer.

— D'accord... très bien... on fera comme

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