Pour sortir du schéma classique, pour essayer de découvrir sous les progrès réels ou apparents de la connaissance l’hypothétique continuité sous-jacente, une seule solution : prendre une distance radicale avec toutes les formes de connaissance que l’humanité a jamais produites. S’imaginer dans la peau d’un extraterrestre qui, de loin, observe la planète Terre, à la fois dans le temps et dans l’espace, et se considère a priori comme totalement insensible aux créations intellectuelles de l’humanité qu’il souhaite étudier avec l’œil froid de l’observateur lointain, sans s impliquer dans ses croyances, dans ses émotions et dans ses contradictions.
Savants et philosophes ont parfois fait appel à des « démons », êtres hypothétiques doués de capacités surnaturelles, pour expliquer leurs théories. Ainsi, il existe un démon de Laplace (qui, à partir de l’état présent du monde est capable de déduire tous ses états passés et futurs), un malin génie de Descartes (capable de le tromper sur tout sauf sur son existence même), ou un démon de Maxwell (doué de la faculté de transformer le désordre en ordre), qui permettent de sortir par l’imagination des conditions de notre quotidien. Pour nous dégager de notre espace habituel, imaginons donc un démon nouveau qui observe notre planète de loin, totalement indifférent à nos débats idéologiques et au progrès que nous croyons constater dans notre connaissance du monde. Ce démon, que voit-il ?
Au premier abord, son attention est attirée par le fait que l’humanité, de plus en plus vite, change le monde dans lequel elle vit…
Lune des deux questions avec lesquelles nous avons clos le chapitre précédent était : qu’y a-t-il, dans les profondeurs de l’entendement humain, qui pourrait prouver l’existence d’une unité essentielle, dans la recherche de la connaissance, entre les différentes constructions explicatives humaines, qu’elles soient appelées mythes ou religions, philosophies ou sciences ? Où se trouve, sous la diversité des explications, des vérités et des erreurs, ce qui en fait le fondement humain ?
Des chapitres précédents, on peut aisément tirer la réponse suivante : le concept. En effet, s’il est vrai que nos entendements fourmillent d’idées qui jaillissent de partout, d’une manière incontrôlée, alors, sous la diversité des concepts se cache déjà une première unicité, celle du concept lui-même. Il nous reste donc à le définir.
Les philosophes ont bien évidemment affronté la problématique question de la nature et de la typologie des concepts. Nous aurons à revenir longuement sur les Idées de Platon (cf pp. 165-168). Je me limiterai donc ici à la définition aristotélicienne qui propose une distinction entre le concept représentant un objet particulier (considérons par exemple un être humain particulier : Socrate) et le concept générique représentant l’espèce dont le premier ferait partie (exemple : homme). Cette distinction entre particulier et général, devenue par la suite une distinction entre particulier et universel, fut l’occasion d’un immense débat au Moyen Age.
Descartes, Locke et Kant, chacun à sa manière, établissent une distinction simple mais opératoire entre les concepts représentant des sensations (objets perçus) et les concepts représentant des connaissances de caractère général (objets conçus)…
Parmi les pures créations conceptuelles de l’entendement humain, on trouve en premier lieu des notions telles que « immortel », « invisible », « illimité », « ailleurs ». Ces concepts ne sont pas abstraits d’une quelconque réalité sensorielle, ils sont construits a priori dans l’entendement qui les définit simplement et exclusivement comme les opposés de certains concepts empiriques. Comment sont-ils formés ? Par simple antithèse de concepts empiriques tels que « mortel », « visible », « limité » et « ici ». Pour cette raison, je les appellerai des concepts antithétiques.
Alors que les concepts empiriques sont expérimentables et perceptibles, aisément définissables dans un cadre spatio-temporel particulier, les concepts antithétiques ne contiennent rien d’autre que l’opposition à l’une ou à plusieurs des caractéristiques des premiers.
Les concepts antithétiques sont donc des concepts purs élémentaires car ils ne contiennent rien, hormis la négation d un concept empirique. Ils ont cependant une place fondamentale dans l’histoire de la connaissance puisque c est grâce à eux que l’explication peut se situer dans un monde « ailleurs », un monde « autre » que celui des notions empiriques immanentes. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
La chose se complique à partir du moment où, au lieu des objets empiriques proprement dits, de leurs qualités perceptibles ou des opposés à ces qualités, on définit des notions construites par l’entendement seul, sans aucune référence au monde extérieur…Comprendre ne se réduit pas uniquement à manipuler des concepts, comme des boules de billard qui s’entrechoqueraient à l’infini... et au hasard. Pour rester dans les analogies faciles, disons que l’élaboration d’un système explicatif, un système dont on dira qu’il permet de « comprendre », ressemble davantage à la construction, pièce par pièce, d’un puzzle.
De ce dernier, nous possédons des pièces éparpillées et disparates (l’infinie diversité des concepts à disposition ou ceux que nous pouvons toujours construire dans nos têtes). Mais nous avons aussi une « petite idée » de ce qu’il peut représenter en fin de parcours. Nous connaissons vaguement sa forme, les tonalités de ses coloris, les règles générales de sa composition globale. En somme, il serait absolument impossible de mettre côte à côte les pièces d’un puzzle si, dans nos entendements, n’existaient pas des règles a priori qui nous permettent de comprendre primo ce qu’est un puzzle en général, secundo comment ce puzzle particulier doit fonctionner. Pour composer un puzzle d’une manière cohérente, qui représente quelque chose, qui ait un sens, j’ai donc besoin non seulement des éléments matériels dont il se construit, mais aussi des règles générales de conduite (des a priori de méthode et d’être) qui me mèneront à sa construction.
Une explication fonctionne d’une manière analogue. Son rôle est de remédier à l’impression de chaos ou d’incohérence que peut donner le monde qui nous entoure. Pour ce faire, nous avons à la fois besoin des pièces de construction que sont les concepts et de quelques règles de conduit... Mon cœur bat si vite💓
êtes vous prêt pour le prochaine chapitre !!!!!!!??????
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