« Tu es née pour mourir, tu n'étais pas censée vivre. »
On m'a toujours répété depuis ma naissance que je devrais être morte, sous différentes formes, comme un mantra. Mais je n'ai jamais accepté cette idée, même si je sais depuis longtemps que c'est vrai.
Le monde est malade. L'humanité a décidé de ne plus mourir et de devenir comme des dieux. Ils ont d'abord perdu la foi en leur Créateur, puis la haine s'est installée en eux. Ils ont alors éliminé Dieu de l'histoire, le considérant comme un mythe ou une fable.
Tout semblait parfait, mais comme toute création, l'humanité a un début et une fin. Un rappel divin que les hommes ne sont que des créatures, de la poussière qui retournera à la terre, peu importe leurs actes.
Des savants avaient créé la mort en cherchant l'éternité. Un génocide à grande échelle s'en était ensuivi, une course à la survie dans laquelle la vie est la chose la plus précieuse. Les Hommes sont prêts à tout pour la protéger, même au pire.
- Concentre-toi\, ordonne Eden en me plaquant violemment au sol.
Elle est différente des filles que je rencontre habituellement ici. Forte, implacable, et d'une espèce que je n'arrive pas à discerner. Eden est arrivée il y a à peine un mois et a battu les Six avec une facilité infantile. Je suis la seule qui lui tienne encore tête. Je refuse de la laisser me vaincre, mais j'évite de me battre sérieusement. Le faire révélerait ma force et je ne veux pas devenir une arme pour CIRE.
Depuis notre dernier combat dans l'Arène, Eden a décidé de s'entraîner avec moi, ce qui est très étrange vu que nous sommes censées être des ennemies.
- 19867...\, me rappelle Eunice.
Je n'aime pas qu'on m'appelle comme ça, comme si j'étais un objet. Mon regard est attiré par la Marque au bas de son dos. J'en ai entendu parler, mais je ne l'ai jamais vue en vrai.
- 19867\, arrête\, aboie Eunice.
J'ai réagi par réflexe pour me défendre, mais ma prise a coupé le souffle à Eden. Si je la blesse, ils vont me tuer. Contrairement à moi, elle est précieuse. Elle essaie de se relever, mais elle retombe aussitôt au sol. Son visage est rougeâtre et elle a du mal à respirer. Eunice court vers les gardes en leur donnant des ordres et ils quittent la pièce en courant. Eden lève les yeux vers moi.
- Fuis...\, chuchote-t-elle.
- Je ne peux pas...
Elle retire le seul bijou qu'elle porte et le referme autour de mon poignet droit avant de me pousser vers la porte. Je ne comprends pas ce qu'elle cherche à faire car tout le monde sait que c'est impossible de quitter la CIRE.
Beaucoup ont essayé, en vain. Je n'ai fait que ça durant mes premiers mois ici mais je me suis fait attraper. À chaque fois. Donc pourquoi me pousse-t-elle à recommencer ? Est-ce un piège ? Un nouveau test ?
- Tu y arriveras ! Fuis...
- Et toi ?
- Nous nous reverrons...
Son énergie me propulse hors de la pièce. Je me retrouve dans le couloir principal de l'aile G. Vide. Alors qu'habituellement, chaque mètre carré est gardé par les Surveillants. La porte du fond, à l'opposé du Cube, lieu où je suis habituellement enfermée, s'ouvre lentement.
« Prends cette porte. »
Je sursaute et regarde autour de moi. Je suis seule. Il n'y a que moi et les murs, alors d'où vient cette voix ? Qui vient de me parler ? Devenais-je folle ?
« Tu n'es pas folle, prends cette porte... »
J'écarquille les yeux, je ne rêve vraiment pas. Quelqu'un me parle mais je ne vois toujours pas d'où peut venir la voix.
« Qui je suis n'est pas le plus important. J'ai une question. Veux-tu t'évader Néfertiti ? »
« La nuit est mon ennemie. Elle est synonyme de mort. Les ténèbres envahissent peu à peu la lumière du jour, le ciel s’obscurcissant, elles nous rapprochent de la fin. La nuit est mon ennemie car elle peut me voler ma vie. »L’aube. Le ciel s’éveillait, illuminé par les premiers rayons du soleil, comme une toile sur laquelle l’on peignait une multitude de couleurs. Et moi, j’attendais là. Cachée dans un abri en carton depuis plusieurs heures déjà.
Je m’étais sentie vulnérable dès lors que le soleil s’était couché, comme si un malheur pouvait m’arriver, si je restais à découvert la nuit.
Je m’étais réveillée dans un lit de neige, seule, portant une simple robe étrange qui me couvrait à peine. Je ne me souvenais de rien, ni de qui j’étais, encore moins de la raison de ma présence ici. Et chaque fois que je tentai de me souvenir, j’étais prise d’une migraine.
Je frissonnai tandis que le vent glacial caressait mon visage et emportait les flocons de neige qui n’avaient cessé de tomber depuis mon réveil. Une pluie de pétales pure qui recouvrait ce désert citadin.
Je tendis la main vers la lumière, la sentir parcourir ma peau me détendit, cela me donnait l’impression d’être vivante et me rassurait. Comme si je n’avais pas ressenti cette sensation depuis une éternité.
Brusquement, je décidai qu’il était temps que je m’en aille. J’avais soudain un mauvais pressentiment, je me sentis en danger comme si le jour pouvait révéler ma présence. Je sortis de ma cachette en prenant soin de vérifier auparavant si la ruelle sordide dans laquelle je me trouvais était toujours vide.
Un miaulement. Une odeur qui me fit grimacer et des klaxons lointains. Rien d’autre. Je rasai les murs puis traversai rapidement l’avenue vers une autre. À peine tournai-je que j’entendis des bruits de moteur. Je me raidis et m’accroupis avant de tenter un coup d’œil. Trois véhicules. Je me plaquai de nouveau contre le mur. Une moto et deux voitures. J’inspirai profondément et regardai encore.
Il y avait plusieurs hommes. Le premier était au volant du premier véhicule et fumait. Deux autres fouillaient dans le coffre d’une des voitures. Un autre était au sol, à quatre pattes, en train de renifler le carton dans lequel je me trouvais préalablement.
Et le dernier. Il balayait les alentours du regard. Je reculai sans même m’en rendre compte. Cet homme m’était familier, je ne pouvais pas dire qui il était mais je reconnaissais ses yeux qui me faisaient penser à un félin. Ils me faisaient peur, ils me terrifiaient.
Je me mis à courir. Je devais fuir, vite et loin. Je ne pouvais pas laisser ces gens me trouver, je savais que c’était moi qu’ils cherchaient. Et j’étais sûre d’une chose, s’ils me trouvaient, ils me feraient du mal, surtout le dernier.
Je pris des allées au hasard jusqu’à un pont. Je le longeai en faisant attention à ne pas tomber ni faire de bruit. Je tournais pour traverser quand je fus violemment percuté. La douleur me frappa avec une telle violence que j’en fus paralysé.
Des cris. Le choc. Des hurlements. Une désagréable sensation de chute tandis que mes yeux s’alourdissaient. Mon corps plongea dans l’eau et je commençai à couler. Je tentai de bouger, seulement mes membres me semblèrent brusquement plus lourds. Et je ne cessai de sombrer, de me noyer, loin de la lumière.
Une ombre passa subitement devant moi. Un homme. Jeune. Avec des yeux gris. Il était tombé en même temps que moi. C’était lui. Il m’avait percuté, avec une moto. Il déplaçait lentement ses jambes, nageant paisiblement, pas le moins du monde paniqué par la situation, comme moi.
Au contraire, il m’observait. Ma bouche s’ouvrit par réflexe pour respirer, or, je n’avalai qu’une bonne dose d’eau avant de me contrôler. Mes poumons commençaient à me faire mal, j’étais en train de suffoquer. L’inconnu me regardait toujours.
Mon attention fut attirée par une lueur. Je baissai les yeux vers mon bras et remarquai que je portais un bracelet qui s’était illuminé. Quelque chose tomba à notre suite. Je sursautai. Un autre entra aussi dans l’eau. Je me forçai à garder les yeux ouverts et vit des ombres m’approcher. Des humains qui nageaient vers moi.
Je retrouvai l’air frais quelques secondes plus tard. Deux personnes me portèrent jusqu’à un quai où je fus allongée au sol. Je clignai des yeux pour m’habituer aux lumières des lampes qu’ils braquaient sur moi.
Je me sentis soulagé d’avoir été sauvé par ces personnes. Cela ne dura pas longtemps car dès lors que je m’habituai à la luminosité, je me raidis aussitôt en reconnaissant leurs visages. C’était le chauffeur qui fumait et celui qui reniflait mon carton. Ceux qui me traquaient.
- Appelle Josh et dis-lui qu’on l’a trouvé !
- On la tue ? voulut savoir le renifleur en enlevant sa montre.
- Non\, ça va attirer l’attention ! On va la ramener au Cube\, marmonna son camarade en se baissant vers moi avec un sourire sadique\, puis on la videra de son sang marqué avant de lui arracher le...
Il ne finit pas sa phrase que son corps tomba à côté du mien, les yeux écarquillés d’horreur, sans vie. Son collègue le suivit. Quelqu’un venait de tuer deux de mes traqueurs. Je tentai de voir ce qui venait de se passer mais mon champ de vision était limité par la paralysie de mon corps.
Quelqu’un passa à côté de moi et un voile s’abattit sur moi. J’étais toujours consciente mais quelqu’un venait de me recouvrir d’un tissu noir. Je sentis des bras me soulever et une odeur de vanille m’entoura. Le froid disparut aussitôt et avec lui ma paralysie, je commençai à me réchauffer et à reprendre le contrôle de mes membres.
Je bougeai délicatement mon épaule et fronçai les sourcils. Ma peau était caressée par quelque chose de doux. Comment était-ce possible alors que je pensais être porté par quelqu’un ?
Mes paupières remuèrent, je compris que j’avais juste les yeux fermés. Je m’étais endormie sans même m’en rendre compte. Je les ouvris donc et vis une jeune fille angoissée dont le teint pâle contrastait avec les draps noirs du lit : mon reflet.
Je fronçai les sourcils en me redressant légèrement. J’étais dans une chambre sans aucun meuble si ce n’est celui sur lequel je me trouvais et le miroir au plafond. Une voix masculine m’apostropha avec hostilité :
- Débout !
Il se trouvait à ma droite et essuyait ses cheveux bruns mouillés. Une moue de mécontentement se dessina sur ses lèvres avant qu’il ne soupire d’agacement. Et ses yeux. C’étaient les mêmes que ceux de l’homme qui m’observait, celui qui était tombé dans l’eau avec moi. Avait-il tué tous mes poursuivants ? Étais-je la suivante ?
Je me raidis en le voyant sortir un revolver avec une crosse en ivoire et le dissimuler à l’intérieur d’une veste qu’il enfila. Mon corps réagit instinctivement et quittait son lit car il était évident que je me trouvai dans sa chambre.
La porte d’entrée s’ouvrit sur un autre jeune homme, encore plus étrange que le premier, de nouveau une odeur de vanille chatouilla mes narines. Il tenait une boisson qu’il donna à son camarade à qui il tint la porte jusqu’à ce qu’il s’arrête à l’embrasure.
Il se tourna vers moi, j’eus l’impression qu’il voulait que je les accompagne. Je reculais, il n’était quand même pas sérieux là ? Il était hors de question que je suive des inconnus comme ça.
- Est-ce que tu vas la tuer ? demanda le nouvel arrivant.
- Si elle ne bouge pas\, oui !
J’ouvris la bouche pour protester mais me ravisa face au regard déterminé que j’avais face à moi. Si je ne lui obéissais pas, il allait vraiment me tuer. Je fis donc le choix qui me sembla le plus censé à cet instant précis : rester en vie.
Celui qui avait posé la question se présenta contrairement à son confrère. Il s’appelait N. Juste la lettre de l’alphabet N. Et ce n’était pas le plus étrange chez lui puisqu’en arrivant à l’extérieur, à la lumière du jour, je vis qu’il portait un masque. En acier mais totalement noir. Je fronçai le nez, complètement abasourdie. Non mais sérieusement qui pouvait se balader avec un masque comme ça ? Qui faisait ça ?
- Monte.
La voiture dans laquelle j’entrai était magnifique. Elle transpirait le luxe. Je me forçai à ne pas fixer N, bien que son masque me troublait réellement. C’était très bizarre de voir quelqu’un en porter un comme ça en public et être parfaitement à l’aise. Ce n’était pas un accessoire pourtant.
Le ronronnement du moteur me berça tandis que j’observais le paysage, essayant de le reconnaître. Je priai aussi intérieurement qu’ils ne soient pas en train de m’emmener afin de me livrer à mes poursuivants.
La sonnerie d’un téléphone interrompit mes pensées, N soupira avant de se garer, il décrocha sur un ton qui sonnait comme blasé, malgré le masque.
- Dirigeant John\, ça devient lassant tous ces appels... oui\, je suis en chemin avec lui ! Il ne sait rien mais pensez-vous que c’est vraiment une bonne idée de la faire revenir ? Si vous le dites ! Oui\, j’ai fait en sorte qu’il ne soit pas armé...
Il raccrocha avant de soupirer. Il prit l’autoroute et roula jusqu’à un grand domaine. Une moto se gara à côté de nous, son ami enleva son casque. Son expression morose n’avait pas quitté son visage. N m’ouvrit la portière et devant moi se dressa une gigantesque serre. Avec un grand lac situé près d’une table en verre entourée de quatre fauteuils de différentes couleurs : vert, bleu, blanc et noir.
- Pour ta propre sécurité\, ne parle à personne qui ne t’a adressé la parole en premier\, m’ordonna N en me tendant son manteau. Suis le jeune maître\, il n’aime pas attendre !
- Pourquoi devrais-je le suivre ?
- Parce que sinon il te tuera\, si tu tentes de t’échapper\, il te retrouvera et te tuera. Il s’appelle Narcis\, reste avec lui\, tu seras en sécurité...
N me lança un dernier regard puis il remonta dans sa voiture, je me retrouvai seule. Narcis avait disparu. Je soupirai, je n’avais pas vraiment envie de le chercher mais il était la seule personne que je connaissais ici. En plus, j’étais presque sûre qu’il m’avait sauvé.
- Vous devriez mettre cette veste mademoiselle...
Je me retournai et tombai nez à nez avec un jeune homme qui portait un collant de couleur foncée ainsi qu’un teeshirt blanc près du corps. Toutefois, ce n’était pas le plus troublant. Mes yeux s’embuèrent sans que je comprenne pourquoi. Son visage me semblait familier, pire même, il me bouleversait. Alors même que j’étais plus que certaine de ne pas le connaître.
Il me fit un sourire rassurant. Ses yeux bleu lagon m’observaient avec tellement de bienveillance que je me sentis de nouveau en sécurité. Je mis sa veste qui me tint plus chaud que la robe que je portais.
- Je m’appelle Neithanel.
- Où sommes-nous ? murmurai-je.
- Au cœur du savoir\, s’exclama-t-il.
Ce fut si soudain que je sursautai. Neithanel avait joint à ses paroles une pirouette pleine de grâce. Je ne pus m’empêcher de sourire.
- À Royalty\, me précisa-t-il. Une école privée qui forme l’Élite mondiale. Sa spécificité vient du fait qu’ici\, ce sont les élèves qui dirigent\, pas les adultes.
- Tu es sérieux ?
Je ne me souvenais pas de mon identité mais je savais très bien ce qu’était une école. Et je n’avais jamais entendu parler d’un établissement ayant ce type de fonctionnement.
- Le contraire est impossible puisque Royalty n’accueille que des futurs dirigeants\, des membres de familles royales et tout le reste de la noblesse. C’est une hiérarchie inversée avec des rangs de D à A.
- Excuse-moi mais... tu es étudiant ici ?
J’avais hésité. Je voulais lui demander s’il me connaissait car pour moi, j’avais comme l’impression que c’était le cas.
- J’ai été invité ici en tant que danseur pour un spectacle. As-tu d’autres questions ?
- Je suis arrivé avec un élève...
- Narcis. Je t’ai vu descendre de son véhicule. Tous les élèves sont dans la cafétéria. La bâtisse qui se trouve derrière toi !
- Merci beaucoup\, dis-je.
- Je n’ai pas saisi ton prénom...
J’hésitai de nouveau. Devais-je mentir en m’inventant une identité quelconque ou lui avouer que je ne me rappelais qui j’étais ?
- Je ne me souviens pas\, avouai-je finalement.
Il avait l’air gentil. Chaleureux était le terme exact, comparé à toutes les autres personnes que j’avais croisées jusqu’à là. Son sourire s’élargit et il me dit :
- Eden. Ce prénom sied parfaitement à la merveille que tu es.
Je fus surprise par sa réponse. Il prit ma main et y fit un baisemain. Je la retirai, gênée. Cela le fit rire. Il recula puis ajouta d’un air amusé :
- Enchanté de t’avoir rencontré Eden.
Je le regardai partir, perdue. Qu’est-ce qui venait se passer ? Un inconnu venait-il vraiment de me trouver un prénom ? Je faillis éclater de rire mais un éclair gronda. Je levai les yeux vers le ciel qui commençait à s’assombrir. Comme si une catastrophe se préparait.
Un vent austère se mit à souffler. Je courus aussitôt vers ladite cafétéria. Et dans ma précipitation, en entrant, je bousculai une jeune fille qui renversa son plateau sur nous deux. Elle se frotta le front en grimaçant de douleur. Je me relevai au moment où les portes de l’ascenseur derrière moi s’ouvrirent. Narcis, accompagné d’un autre garçon qui me rappela un peu Neithanel, se stoppa en voyant l’autre fille.
Tout à coup, les lumières s’éteignirent et le tonnerre se mit à gronder, si fort que je crus que nous allions tous mourir. Le temps avait l’air plutôt calme jusqu’à là, donc pourquoi une tempête semblait sur le point d’éclater maintenant ?
La crosse en argent du revolver de Narcis brilla tellement qu’elle attira toute mon attention. Mes sens se limitèrent subitement à la vue et je n’entendis plus rien. Ce fut un cri qui me ramena à la réalité. Et Narcis tira...
« Le doute parait pathétique dans ce vide dans lequel tu m’as laissé, je t’attends encore, bien que le règne que tu aies dans ma mémoire est similaire au gouffre de l’oubli dans lequel tu m’as effacé... »
J’avais redouté ce voyage avant même de commencer à le préparer. J’avais passé toute ma vie à rêver que je quittais le palais où j’avais grandi. Un lieu magique et merveilleux dans mon enfance puis une prison sombre dès lors que les années passèrent.
J’avais imaginé une aventure pleine de surprises et de romance, comme dans les romans que je n’avais cessé de lire. Cependant, depuis mon départ de Tokyo, il ne m’arrivait que des tragédies et des mésaventures.
Pour commencer, ma famille paternelle m’en voulait de les quitter aussi soudainement, surtout mon père car j’étais passé au-dessus de lui pour obtenir l’autorisation de ma famille maternelle de voyager en Europe.
Il connaissait mes raisons mais cela ne changeait en rien le fait que je lui avais désobéi. Ma grand-mère était triste et déçue que je m’en aille ainsi. Elle m’avait tout de même accompagné à l’aéroport et obligé papa à faire de même.
- Sefora\, comporte-toi bien chez la famille de ta maman ! Tu devras être une fille forte et gentille avec eux comme l’était ta mère... je sais que tu y seras heureuse !
J’acquiesçai d’une voix tremblante alors que mes yeux se remplissaient de larmes. Papa nous fusilla du regard avant d’affirmer d’une voix glaciale :
- Les Barme ne feront qu’une bouchée de toi si tu pleurniches tout le temps !
Il tourna les talons, ce qui mit fin à nos adieux à grand-mère et moi. Avec lui, ce simple geste était un ordre silencieux, il était temps pour moi d’y aller.
- Pourquoi père ne m’aime pas ? murmurai-je en regardant grand-mère.
- Parce que tu es celle qui a tué celle que j’aimais\, répondit père en virevoltant vers nous\, je ne veux plus de toi ici ! De toute façon\, on ne m’a pas donné le choix\, ton tuteur\, un Barme fait pression sur tout le Japon juste pour toi ! Tu m’as déjà pris ta mère\, je ne te laisserais rien me prendre d’autre ! Au revoir ! Mère\, allons-y !
Grand-mère me lança un regard désolé, des larmes se mirent à couler sur ses joues. Elle me lâcha à contrecœur et suivi papa. Je ne fus même pas blessé par ses propos, j’étais désormais habituée à la haine de mon père.
Je pris ma valise, elle contenait toute ma vie. Je ne possédais pas beaucoup de choses, par choix, j’étais très minimaliste. Je fis la queue pour passer les contrôles de sécurité. Plusieurs agents de police passèrent à côté de moi et allèrent en rejoindre d’autres à l’avant. Il y avait un attroupement autour de deux jeunes hommes portant des tenues de football. Une alarme se déclencha. Des policiers les approchèrent, l’un des deux s’exclama :
- Vous êtes bouchés ou vous le faites exprès ? Je ne me sépare jamais de mon épée !
- Monsieur Di Casso\, les armes sont interdites...
- Excusez-le\, soupira son compagnon en riant\, il n’est pas du matin ! On a un permis !
Il fouilla dans ses poches jusqu’à sortir une feuille de papier totalement chiffonnée. Il le tendit aux policiers, le premier qui le lût devint pâle avant de le donner à son voisin. Peu à peu, ils affichèrent tous la même expression que je reconnus pour l’avoir toujours vu à ma maison : la peur du pouvoir. La suite me confirma que j’avais raison, ils se courbèrent tous devant les deux jeunes hommes.
- Jeunes maîtres... jeunes maîtres\, pardonnez-nous ! Nous ne savions pas ! Bien sûr que vous pouvez passer ! Encore une fois...
Je soupirai en voyant les policiers continuer à s’excuser alors même que leurs interlocuteurs ne les écoutaient déjà plus. Celui qui avait donné le document protesta :
- Isis\, pourquoi il faut toujours que tu foutes le bordel ?
- Je ne quitte jamais mon épée à la maison Dave\, je ne vois pas pourquoi je devrais le faire ici ! Dépêches sinon on va être en retard !
- Je t’ai dit que je n’étais sûr...
- Je m’en fiche\, s’écria le propriétaire de l’épée\, je ne peux pas me calmer Dave ! Je la cherche depuis tellement longtemps... je veux la revoir\, je veux revoir Néfertiti...
Le voyage jusqu’en France fut plus calme, j’étais en Business Class, j’avais un siège qui pouvait aussi devenir un lit, un écran pour regarder des films parmi tant d’autres privilèges. Je ne pensais pas que les Barme feraient autant pour moi. J’avais juste imaginé voyager normalement, comme tout le monde.
J’étais assise près d’un jeune homme enveloppé de la tête aux pieds. On ne voyait même pas son visage. Il écoutait de la musique classique. Et parmi les chansons de son répertoire, beaucoup étaient mes préférées, j’avais longuement dansé dessus. Cela m’endormit.
Je me réveillai à Lyon. J’allai récupérer ma valise et me dirigeai vers la sortie. Je regardai autour de moi, à la recherche de Lee. Je soupirai en me rendant compte qu’il était en retard. Encore une fois. C’était très agaçant d’être ainsi abandonné dans un pays inconnu.
Lee savait que je n’étais jamais venue en France, je n’avais même jamais quitté le Japon. J’avais pris l’avion plusieurs fois avec père mais nous n’étions jamais sortis du pays. Lee m’avait donc promis qu’il serait à l’aéroport afin que je ne sois pas perdue. Mais ce n’était pas le cas. Une autre promesse qu’il ne tenait pas.
Heureusement, je parlais couramment français, ce qui me permit de trouver la sortie seule. Je tentai pour la énième fois de contacter Lee mais il ne répondit pas à mes appels, je tombais sans cesse sur son répondeur.
Je vis quelqu’un qui portait une pancarte avec mon patronyme écrit dessus : Sefora Enora Daheen Lin Choi. Un nom bien long pour une jeune fille de quatorze ans. Je me dirigeai vers l’inconnu dont le regard me fit rougir. C’était très étrange mais guère étonnant car je n’avais pas côtoyé des personnes du **** opposé jusqu’aujourd’hui. Le palais étant fermé au public, je ne voyais que ma famille. Tous les serviteurs n’étaient que des femmes ou des moines.
- Konnichiwa votre altesse. Je m’appelle Neith\, j’ai été chargé de venir vous chercher et de m’occuper de vous ! Votre voyage s’est-il bien passé ?
- Oui\, le vol était calme avec peu de voyageurs.
- Je dois vous accompagner à votre établissement\, souhaitez-vous prendre un petit-déjeuner avant ?
J’hochai la tête avant de le suivre. Il conduisait une voiture noire semblable à celle qu’utilisait toujours père. Je montai à l’arrière et attachai ma ceinture. Je profitai du trajet pour observer mon nouveau chauffeur. Il me semblait bien jeune pour faire ce travail ou même être un majordome. En général, ils avaient toujours la trentaine au moins. Or lui, il paraissait avoir deux ou trois ans de plus que moi.
- Vous ne m’emmenez pas voir les dirigeants Barme ?
- Il a été décidé que pour le moment\, vous resterez dans votre nouvelle école jusqu’à la fin de l’année civile. Votre rencontre avec la dirigeante Jordence Barme sera organisée par la suite...
- La dirigeante Jordence Barme ? voulus-je savoir.
Je ne savais pas grand-chose de ma famille maternelle car les informations liées aux Barme étaient confidentielles. Il y avait des suppositions et des spéculations mais grand-mère m’avait assuré que ce n’était que des rumeurs. Je ne devais surtout pas me fier à ce que les médias écrivaient ou disaient sur eux.
- La dirigeante Jordence Di Casso Barme est la femme du dirigeant Luciano Cornwall Barme\, elle le seconde dans la direction du Clan Barme\, m’expliqua le chauffeur.
- Bien\, merci.
Lorsque j’avais pris l’initiative d’écrire une lettre à la famille de ma mère, je m’étais promise que s’ils acceptaient ne serait-ce que de m’autoriser à étudier dans une école normale en Europe afin que j’y passe mon baccalauréat, je ne me plaindrais pas et accepterais mon sort.
- Ah oui\, j’allais oublier\, voici vos nouveaux effets personnels pour votre école.
Il me tendit un grand paquet emballé. Je l’ouvris avec précaution. C’était la première fois que je recevais quelque chose de la part de la famille de maman. La boîte contenait ma nouvelle carte étudiante portant mon nom actuel : Sefora Lin.
Daheen était le prénom que grand-mère m’avait donné, elle avait vécu la moitié de sa vie en Corée du Sud. Je préférai cependant Sefora Enora, pour leur signification et aussi car c’était le choix de ma mère. Une des dernières choses qu’elle avait faites pour moi avant de mourir.
Il y avait aussi des clés, sûrement celles de ma chambre, un téléphone portable, un ordinateur et un bracelet portant mon nom ainsi que les sigles de ma nouvelle école : Royalty.
- Pourquoi ma carte étudiante... ?
- Il a été décidé que pour le moment\, vous ne porterez pas le nom Barme\, les dirigeants doivent tout d’abord vous rencontrer !
J’hochai la tête avant de soupirer. Je savais qu’étant donné que les Barme étaient désormais le Clan qui contrôlait le monde, ils étaient considérés comme tout-puissants. Et même si maman en était une, pour eux, je supposai que ça ne justifiait pas le fait qu’ils allaient m’accueillir les bras ouverts. Je devais faire mes preuves.
- Y a-t-il des Barme au sein de l’école ?
- Oui\, plusieurs héritiers.
J’attendis qu’il m’en dise un peu plus mais il ne fit pas. J’étais très curieuse au sujet des Barme, j’avais lu tout ce que les serviteurs de père avaient pu trouver sur eux. Il n’y avait pas beaucoup d’informations mais cela m’avait donné envie d’en savoir plus. J’avais même convaincu Johanna, ma dame de compagnie de mes dix à douze ans, de me procurer des documents sur maman.
- Vous travaillez pour les Barme depuis longtemps ?
- Depuis ma naissance\, le service aux Clans est un héritage dans ma famille.
- Pourquoi est-ce vous qui avez été envoyés ? demandai-je en fronçant légèrement les sourcils. Je pensais avoir...
- Une fille ? Je comprends\, m’assura-t-il en s’arrêtant à un feu rouge\, j’étais le plus disponible et le plus... fiable\, on va dire !
- Fiable ? Tous les majordomes ne sont-ils pas fiables ?
- Ça dépend de beaucoup de facteurs ! Et puis\, je suis en vacances pour le moment\, mon patron est en déplacement donc ça tombait plutôt bien...
- Vous êtes déjà au service d’un autre Barme ? Il est de ma famille ?
- Tous les Barme sont votre famille\, affirma-t-il\, démarrant de nouveau.
Il demeura de nouveau silencieux. Je compris qu’il ne me donnerait pas plus de détails. Je remarquai aussi que ses réponses étaient aussi simples que vagues.
- Est-ce que c’est un proche parent ? insistai-je.
- Oui\, murmura-t-il en coupant le moteur. Nous sommes arrivés\, la table est déjà prête pour vous ! Prenez votre temps\, je patiente...
J’entrai dans le restaurant. Il était totalement vide. Une table avait été préparée et il n’y avait que mes plats préférés. Cela me perturba. Comment les employés des Barme avaient-ils pris connaissance d’autant d’informations privées sur moi ? Comment savaient-ils aussi précisément ce que j’aimais manger ?
Je levai les yeux sur Neith, il était adossé contre la portière de la voiture et parlait au téléphone. Il dût sentir mon regard sur lui car il se tourna vers moi. Je me concentrai aussitôt sur mon repas, gênée. Je n’avais pas l’habitude des interactions sociales avec des inconnus, surtout du **** opposé. Mais ce majordome en particulier me mettait mal à l’aise sans que je sache pourquoi.
Je pris mon ancien téléphone, que je m’étais acheté en cachette car père refusait que j’en ai un, il était très vieux et tombait en ruine. Je n’avais pas d’argent, j’avais donc dansé et grand-mère m’avait donné un billet de 100 € pour mes quatorze ans.
Avec le reste de l’argent que j’avais gardé, eût par elle aussi à chaque anniversaire, j’avais réussi à trouver un téléphone sur internet à 250 € que grand-mère avait récupéré secrètement pour moi puisque je n’avais le droit de sortir.
Je composai le numéro de Lee. Un début de sourire se dessina sur mes lèvres dès que j’entendis que ça sonnait. Il disparut aussi rapidement qu’il était venu lorsque je tombai sur son répondeur. Encore. Lee était ma bouée de secours, mon plan de sauvetage. Celui sur qui je pouvais toujours compter. Il était d’ailleurs la seule personne que je connaissais ici en Europe. Enfin presque.
- Bonjour Lee\, c’est Sefora. Je suis bien arrivée. Rappelle-moi afin que l’on puisse se voir\, je t’enverrais mon nouveau numéro !
Je raccrochai et décidai de profiter de mon petit-déjeuner. Surtout qu’il était rare que je mange ces plats. Père décidait de tout me concernant, même de mon alimentation. C’était donc comme un festin pour moi ce repas. Et je n’étais pas venue en Europe pour m’apitoyer sur mon sort. Si j’avais décidé de tout quitter, c’était pour des raisons précises, j’avais des objectifs et j’étais prête à tout pour réussir. A tout.
Je m’apprêtai à ranger mon téléphone quand il se mit à vibrer. Je fus surprise car je n’avais beaucoup de personnes dans mon entourage pouvant m’appeler. Je fronçai les sourcils en voyant que c’était un numéro inconnu et me raidis en lisant le message qui me fit froid dans le dos ” Si tu intègres Royalty, tu vas mourir « .
Cela me coupa l’appétit, un frisson traversa tout mon corps. C’était un nouveau téléphone et je ne connaissais personne ici donc pourquoi est-ce que je recevais des menaces ? Qui m’en voulait ? Neith m’interpella, nous devions y aller. Je décidai de ne pas me laisser intimider et poursuivre ce pourquoi j’étais venu.
Neith reprit la route avec moi. Comme il roulait lentement, je pus profiter du trajet pour découvrir la ville de Lyon. Nous attendions à un feu rouge près d’une gare qui s’appelait Part-dieu. C’était un immeuble à l’architecture moderne, avec une horloge au centre. Elle se trouvait face à une bibliothèque, aux côtés d’un grand Centre Commercial.
Je me concentrai dessus pour ne pas penser à ce message étrange et assez terrifiant. Je ne connaissais personne en Europe, pourquoi quelqu’un me voudrait du mal ? Je ne comprenais vraiment pas ce qui se passait.
Un inconnu accostait une jeune demoiselle qui aurait pu être son enfant. L’adolescente profita d’un instant d’inattention pour courir vers les portes d’un tramway qui se fermèrent dès qu’elle y entra. Neith alluma la radio. Il changea plusieurs fois de stations jusqu’à s’arrêter sur un journaliste qui parlait d’une nouvelle invention scientifique.
- « La NASA continue ses tentatives de négociation avec le Clan Barme dans le but de pouvoir collaborer avec un de leurs successeurs\, celui dont l’image est la plus controversée\, Narcis Liensterberg Di Casso Barme ! Considéré comme un génie troublant... »
Mon chauffeur eût un petit rire amusé, il éteignit la radio. Mon attention se reporta de nouveau sur le paysage à l’extérieur. Le temps ne s’était pas amélioré, je sentais même qu’il allait pleuvoir.
Alors que nous avancions, je vis des drapeaux de différents pays flotter au-dessus du mur que l’on longeait. Un grand portail couleur argent avec des jolis motifs donnait sur un parking où se trouvaient garées plusieurs voitures de sport très luxueuses. Je n’en avais vu que dans les magazines sportifs que les serviteurs de papa lisaient.
Les limousines faisaient demi-tour pour sortir de la propriété après avoir déposé des jeunes gens sous les flashs des journalistes qui se battaient à l’extérieur pour prendre des photos. Ils étaient par des hommes vêtus en noir et des policiers qui essayaient de maintenir l’ordre.
Un ensemble de trois immeubles me faisaient face. Les deux premiers édifices rose et bleu étaient face à face. En retrait, se tenait un troisième bâtiment avec au rez-de-chaussée la cafétéria surplombée de ce qui semblait être des salles de classe. Autour de cet ensemble, je pus apercevoir un terrain de tennis et un jardin à la pelouse verdoyante.
Peu après, le véhicule s’étant arrêté, je descendis. Devant moi, je vis une gigantesque serre remplie de fleurs de toutes sortes : roses, coquelicots, gardénias. Elle était vitrée, je pouvais donc voir tout ce qui s’y trouvait.
Un lac était situé au centre, près d’une table blanche entourée de fauteuil de différentes couleurs. On pouvait même apercevoir quelques papillons survoler autour des fleurs, ainsi que des lucioles qui dansaient dans le vide. Un spectacle fascinant. Ce lieu aspirait la pureté et le luxe. C’était la plus belle serre que j’avais eût l’occasion de voir.
Mon arrivée à Royalty fut telle que je l’avais imaginé. J’avais tellement feuilleté la brochure d’information de l’établissement, que c’était comme si je la connaissais par cœur. Je fus surprise de tomber de fatigue en arrivant dans ma chambre. Je découvrais l’envers du décor du décalage horaire.
Je regardai le programme de la journée et vis que j’avais raté la cérémonie de bienvenue. Je décidai donc d’aller visiter l’établissement et je me retrouvai dans une sorte de cafétéria. Mon regard fut attiré par une fille qui passa près de moi. Elle était la seule qui ne portait pas l’uniforme de l’école, elle avait l’air d’un véritable garçon manqué avec la tenue de sport sur elle.
Je pris la brochure que me donna une élève en souriant, elle me regarda d’un air surpris puis elle se présenta. Elle s’appelait Annabelle, apparemment, elle me connaissait.
- Je suis ta colocataire\, nous serons trois dans la chambre\, m’expliqua-t-elle\, j’ai vu ta photo à l’administration\, tu es Sefora Lin\, n’est-ce pas ?
- Oui. Vous êtes en 1ʳᵉ année aussi ?
- Oui\, nous sommes dans la même classe\, la 1ère B. On peut se tutoyer...
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un garçon dont les bras étaient chargés de pâtisseries dont il se goinfrait. Annabelle s’écarta en me tirant aussi pour le laissez-passer. Je fronçai les sourcils en me tournant vers elle.
- Il s’appelle David Barme\, l’héritier de la famille et du Clan Barme ! Ne te mets jamais sur son chemin sinon tu peux te faire virer !
Un Barme. Enfin. Je venais enfin de trouver un membre de la famille de ma mère. Un autre garçon sortit de l’ascenseur aussi. La première chose qui me frappa chez lui, fut son air perdu. Ses yeux gris métallique balayèrent la pièce d’un regard lointain et sombre. Une capuche cachait la moitié de son visage.
- C’est Narcis Barme\, le dernier de la famille\, murmura Annabelle\, la rumeur dit que c’est le chouchou des dirigeants même si tout le monde dit qu’il est débile !
- Débile ? demandai-je en ne comprenant pas le mot.
- Stupide. Attardé. Il parait qu’il a pleins de troubles genre autisme et il parle bizarrement...
Annabelle s’arrêta en entendant une assiette se casser. On se tourna vers Narcis qui observait le garçon manqué. Un violent éclair gronda tandis qu’un vent austère pénétrait dans la pièce, sortit de nulle part. La cafétéria trembla tout à coup et les lumières s’éteignirent.
Narcis sortit de sa poche une arme qu’il pointa sur l’autre fille. J’écarquillai les yeux, choquée, et encore plus lorsqu’un bruit sourd se fit entendre. Il venait de lui tirer dessus. Je crus que Narcis l’avait tué mais heureusement pour elle, David s’interposa, la balle frôla le bras droit de l’adolescente, ce qui lui arracha un cri de douleur. Elle saignait.
- Narcis !
- Si elle revenait\, elle devait mourir\, elle savait\, marmonna Narcis sur un ton glacial.
- Si tu tires encore sur elle\, je te tue\, menaça David en brandissant une arme sur lui.
Sans lâcher sa proie du regard, Narcis sortit aussitôt une seconde arme et la braqua sur David. Tout le monde s’écarta de la fille que David tentait de cacher derrière lui.
- Narcis\, je t’en supplie\, au nom de notre amitié\, pose cette arme\, supplia David.
- Narcis n’est pas l’ami de David !
Je fronçai les sourcils. Narcis parlait de lui à la troisième personne ? C’était vraiment étrange. Un portable se mit à sonner, David en sortit un de sa poche et décrocha. Il écouta son interlocuteur en silence avant de mettre le haut-parleur.
- Nars\, tu ne peux pas tuer Eller...
- John ne devrait pas se mêler de ça\, ordonna Narcis\, déterminé.
- Nars\, tu as décidé de la tuer après avoir fait une promesse à Lio !
- Oncle John a raison\, tu ne peux pas faire ça ! Tu as promis ! Tu l’as juré à Lio ! Narcis\, tu te souviens de Lio\, n’est-ce pas ? bredouilla David complètement paniqué.
Je ne savais pas de quelle promesse ils parlaient, ni qui était ce Lio dont l’évocation du prénom ne fit que rendre Narcis encore plus furieux qu’il ne l’était déjà. Je me demandai si c’était réellement une bonne idée de parler de lui dans pareille situation. Le téléphone de David finit contre le mur et je ne saurais expliquer comment.
- Je t’en supplie...\, murmura sa victime. S’il te plaît...
- Tu me supplies ? répliqua Narcis. Toi ? Je te l’avais promis ce jour-là\, que si tu réapparaissais devant moi\, je te tuerais !
Je regardai autour de moi d’un air inquiet, je remarquai que plus Narcis s’énervait, plus le sol tremblait avec fureur et le ciel s’assombrissait. Comme si son humeur pouvait influencer l’environnement autour de lui.
- Ne me prend pas pour un con ! Tu crois que je suis débile ? Tu crois que j’ai oublié ? Tu as oublié que je n’oublie jamais rien ? Tu as oublié qui je suis ?
Je fronçai les sourcils en comprenant de quoi parlait Annabelle. Il semblait perdu, bizarre. Et il répétait ce qu’il disait comme... ces enfants que j’avais vus une fois dans une documentaire, je ne me souvenais plus de quoi ça parlait mais Narcis me rappela cela.
- Je... je ne sais pas... qui vous êtes...
Soudainement, le sol se mit à trembler fortement. Comme accentué par cet aveu. Le temps de l’extérieur empire de nouveau, je vis ce qui ressemblait à une tornade ******** la porte. Les murs commencèrent à s’écrouler tandis que je me retins de hurler en même temps que les alarmes. J’étais totalement dépassée par ce qui se passait.
Nous fûmes plongés dans les ténèbres, ce qui ne fit qu’accentuer ma peur. Je basculai contre le sol et ma tête tapa violemment contre le pied d’une chaise. Un silence de mort m’entoura, mes yeux se fermèrent. Puis brusquement, je sursautai. Ailleurs.
Des lumières défilaient au-dessus de ma tête. Des bips chantonnaient autour de moi telle une valse endiablée. Une odeur chimique régnait dans l’air et me brulait les narines. J’ouvris les yeux lentement et vis que j’étais allongée dans un lit d’hôpital, près de la fille qui avait failli être tué. Elle était inconsciente.
- Prenez votre temps princesse\, vous êtes encore en convalescence\, murmura la voix de Neith tandis que je refermais les yeux\, la lumière m’aveuglant beaucoup trop.
Je le sentis se déplacer dans la pièce voisine où on entendait des pas. J’ouvris de nouveau les yeux car il avait éteint la lumière. La porte étant resté ouverte, je vis une jeune fille qui s’approcha de Neith.
Elle se colla à lui comme dans les films de ma sœur que je regardais parfois en cachette dans ma chambre, dans les lycées occidents, où des jeunes « flirtaient » ensemble. Je ne connaissais pas ce mot avant de commencer à m’intéresser à ce type de séries.
- Je viens de voir ta chérie mise dehors\, tu n’en veux plus ?
- Mel\, je n’aime pas quand tu débarques chez moi sans me prévenir...
- Arrête de te fâcher pour rien\, soupira la dénommée Mel avant de rire\, est-ce que tu boudes à cause de ta rupture ?
- Ma relation avec Sarah est finie\, je ne veux plus en parler\, marmonna Neith.
- Alicia ! Elle s’appelle Alicia\, tu devrais au moins retenir le prénom de tes conquêtes\, répondit-elle en jouant avec ses longs cheveux bouclés\, bref\, peux-tu m’obtenir une autorisation de sortie pour ce soir ? J’en ai marre de cette prison...
- Mel\, je ne suis pas ton garçon de course\, répliqua-t-il en se dirigeant vers la porte comme pour mettre un terme à la conversation.
Papa faisait ça aussi, dès qu’il en avait fini avec quelqu’un, il faisait en sorte que l’on comprenne qu’il était temps de s’en aller. Je clignai des yeux en les ouvrant de nouveau, Neith était de nouveau dans la pièce. Mais il n’était pas seul. David, le Barme dont Annabelle m’avait parlé, l’accompagnait. Il s’approcha de ma voisine dont il prit la main. Des larmes se mirent à couler sur ses joues, il les essuya avec rage sous nos regards surpris à Neith et moi.
- Je suis désolé Eller\, je te demande pardon\, j’aurais dû mieux te protéger de lui...
Il avait l’air de la connaître et de beaucoup tenir à elle. Je ne savais qui était cet Eller mais pour que l’héritier des Barme lui-même pleure pour elle, ça ne voulait dire qu’une chose, qu’elle était vraiment très importante.
Mon téléphone se mit à vibrer, je grimaçai de douleur mais fit l’effort de le sortir de ma poche car je voulais absolument parler à Lee. Je fus déçue de voir que ce n’était pas lui mais grand-mère qui m’envoyait un message pour savoir si j’étais bien arrivée et si tout se passait bien pour moi en Europe. Je me retins de sourire, elle était bien la seule personne qui semblait s’intéresser à ma personne, la seule qui s’inquiétait toujours pour moi.
Je sentis une migraine me prendre et décidai que je lui répondrai demain. Je laissai mes yeux se fermer, je tombai de fatigue à cause de ma chute. Jusqu’à ce que je finisse par m’endormir, ils étaient encore là...
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