Kiera ressemblait à un vrai cadeau de Noël ! Ou sans doute à un mets appétissant, attendant d'être consommé par les chevaliers avides qui se déplaçaient en dessous comme une poignée de chiens enragés et insatiables.
Tous, sans exception, s'étaient gavés de vin, de bière et de nourriture.
Maintenant, ils étaient désireux de recevoir un prix spécial.
On pourrait même penser que les fêtes du Nouvel An étaient déjà arrivées, vu la façon dont ils se délectaient ici, à la cour du monarque.
La scène lui causa un tel dégoût que Kiera ne put contrôler l'expression nauséeuse de son visage.
Cependant, en remarquant l'approche de sa femme de chambre, elle se détourna sur-le-champ.
Mais Libby l'avait porté dans ses bras depuis sa naissance et l'ayant accompagné toute sa vie, pouvait reconnaître de loin l'humeur qui la dominait.
-Qu'y a-t-il, lady ? demanda la femme en douceur.
- Quoi ? sourit Kiera avec amertume, sa voix normalement mélodique vibrait de colère et de dédain.
Je me sens comme un prix de compétition, tout enveloppée et parée, et dans un geste furieux, elle passa la main sur sa robe brodée et sa cape doublée d'hermine attendant d'être remise au gagnant.
-Milady …murmura Libby, son ton attristé implorant la sagesse.
Impatiente, Kiera la coupa au milieu de sa phrase.
-Ces derniers mois, depuis la mort de mon père, nos terres n'ont prospéré que sous mon administration, cependant, au lieu de recevoir une récompense pour mes efforts, il semble que je serai la rémunération donnée à un crasseux coquin, fou d'argent.
Et tout cela uniquement parce que notre bon souverain en a décidé ainsi.
-Milady ! manifesta Libby sous le choc.
- Ce n'est pas juste, se lamenta Kiera pour la énième fois.
Peu importe à quel point elle gérait les domaines que son père lui avait laissé, ou combien de prétendant elle avait réussi à rejeter, ou même combien de copieuses récoltes elle avait cueilli dans les plantations, ou bien à quel point la vie était tranquille et calme dans sa résidence, car toutes ces performances incroyables avaient été vaines.
En moins d'un an, le roi lui avait envoyé une assignation, lui ordonnant de se marier.
- Arrêtez Milady, se pourrait être pire.
Au moins, vous pouvez choisir votre propre époux et parmi tous les sires les plus nobles du pays d'ailleurs.
- Ah ! Grosse affaire ! Cet honneur ne m'a été accordé que parce que j'ai assez d'argent pour payer ce privilège, ou pensez-vous que le roi m'a laissé choisir parce qu'il m'estime étroitement ?
-Assez Milady, l’a prévenu de nouveau Libby, arrêtez cette conversation idiote et risquée et taisez-vous.
Au moins une fois dans votre vie, comportez-vous bien et choisissez adéquatement, en utilisant votre tête au lieu d'être grognon.
Kiera sourit délicatement, pas offensée par les paroles de Libby.
De plus, Libby ayant été plus qu'une vraie mère au fil du temps, il était impensable de contenir la langue de la vieille dame, même si elle tentait. -Ne t'inquiète pas, je choisirai convenablement.
En fait, j'ai un bon plan. Horrifiée par ce qu'elle venait d'entendre, Libby fit un pas en arrière.
- Oh, que Dieu ait pitié de nous ! Des années d'expériences lui avaient appris que les plans de sa maîtresse se terminaient toujours dans un grand chaos.
Au bord de la panique, elle joignit les mains dans une prière angoissée.
Milady, s'il vous plaît, laissez vos idées insensées de côté.
Oubliez les plans risqués.
- Je ne fais que suivre ton avis, répondit-elle aimablement, une lueur espiègle dans ses yeux, je déciderai correctement.
Le roi m'a donné la liberté de choisir un époux parmi tous les nobles du royaume, n'est-ce pas ? Il a dit que je pouvais opter pour n'importe lequel de ses seigneurs.
Et cela inclut tout le pays, n'est-ce pas ? Kiera s'arrêta, ignorant l'expression embrouillé de Libby.
-Milady …
-Donc j'ai déjà pris ma décision.
Le sourire triomphant illuminant son visage céleste n'était pas bon signe, pensa Libby, craignant pour la chance de sa maîtresse.
Depuis sa naissance, Kiera Shearer avait fait preuve d'un caractère remarquable et le fait d'avoir grandi en compagnie de trois frères, sans sa mère aux alentours pour inculquer des manières délicates, ne faisait qu'accentuer son caractère téméraire.
Maintenant, après que les deux hommes plus âgés avaient péri de la fièvre, le troisième avait été tué lors de la dernière croisade.
De plus, le père était mort depuis peu, Kiera était donc devenue la seule rescapée de la famille Shearer.
Elle s'était avérée plus dure, plus forte et plus sensée que n'importe lequel d'entre eux, et aussi plus têtue et obstinée.
Au fond de son cœur, la vieille femme croyait que le mariage avec un honnête homme ferait du bien à sa milady.
Être dirigé par une main ferme mais douce, concevoir et élever des enfants pourraient contribuer à faire résulter la nature douce de la jeune femme.
Peut-être que l'ordre du roi était en effet pour son bien.
Après tout, Kiera avait déjà 20 ans et n'avait jusqu'à présent exprimé aucun intérêt à chercher un mari.
Le seul problème était qu'elle avait oublié d'examiner la nature déterminée de celle qu'elle aimait en tant que femme.
- Et s'il n'approuve pas mon choix, je suppose que je serais libre de rentrer chez moi, conclut Kiera d'un air victorieux.
Libby essayait de raisonner rapidement, essayant de comprendre quel était ce plan.
Pour une sombre raison, sa maîtresse croyait que le roi lui refuserait l'autorisation d'épouser le chevalier choisi.
-Milady, vous n'avez pas le courage de choisir un homme déjà marié !
-Non ! Je n'avais même pas pensé à cette éventualité, je le jure ! Kiera resta calme pendant quelques secondes, comme si elle envisageait une telle alternative.
Mais elle rejeta l'idée. Non, je ne pense pas que le roi accepterait un cas comme cela, mais il sera contre mon choix, il le faudra ! La vieille femme aspirait profondément, se préparant à entendre le pire, elle avait besoin de connaître le reste de l'histoire, même si elle était sûre qu'elle n'aimerait pas ce qu'elle allait entendre.
-Et qui sera l’élu ? demanda-t-elle craintivement. Éprouvant son premier sentiment positif de la journée, Kiera balaya doucement son regard méprisant sur les chevaliers avant de la regarder.
-Je choisirai le baron McFarlane, pleine d'impatience, elle attendit la réaction de Libby, qui la féliciterait sûrement pour sa manifestation d'ingéniosité et d'intelligence.
Cependant, au lieu de mots d'admiration, la bonne n'eut que le temps d'élargir les yeux avant de tomber, s’évanouissant au sol.
Keira leva la tête et rejeta ses épaules en arrière alors qu'elle entrait dans la salle maintenant vide, à l'exception du roi Harry, de la reine et de quelques serviteurs et conseillers.
Le roi avait accordé la grâce d'une audience particulière, mais elle ne savait pas si elle devait envisager cette attitude comme une consécration ou une damnation.
Si le roi Harry avait l'intention de démentir sa décision, ce serait probablement plus difficile de le faire devant beaucoup de monde.
Le roi était toujours un bel homme, grand, jambes longues, cheveux blonds et yeux bleus.
Cependant, Keira s'agenouilla devant lui sans la moindre émotion.
Elle n'avait jamais été attirée par cet homme. - Bonjour Keira Shearer, j'espère que vous avez apprécié votre séjour à la cour.
- Oui, bien sûr mon roi, répondit-elle en se forçant à sourire.
-J'espère aussi que vous avez utilisé votre temps à bon escient, pour choisir un mari parmi mes seigneurs réunis ici, sourit le roi, comme si la situation l'amusait.
-Mon roi n'a pas limité le choix parmi les gens présents à la cour, dit Keira en essayant de rester calme.
Je peux épouser n'importe lequel de vos seigneurs, n'est-ce pas ? Bien que surpris, le roi hocha nettement la tête.
Malgré sa ferme volonté de mener le projet à terme, il lui semblait de plus en plus difficile d’émettre le nom de l'élu.
C'est donc avec beaucoup d'efforts que les mots prirent vie.
J'ai donc choisi le baron McFarlane de Grimwood comme époux.
L'annonce eu l'effet attendu. Les gens autour d'elle ne cherchèrent pas à cacher le choc que son choix avait causé, et bientôt les commentaires, toujours associés au baron, remplirent l'air.
"Le chevalier noir … le diable lui-même incarné… sorcier… spécialiste de la magie noire" murmurèrent des voix anonymes.
Bien que Keira ait entendu toutes ces rumeurs auparavant, les mots la troublaient davantage maintenant parce que, d'une certaine manière, ils la concernaient.
Déterminée à ne pas se laisser détruire, elle leva la tête et regarda chacune des personnes présentes avec hauteur.
Tout le monde la regarda avec effroi.
Tout le monde sauf le roi et sa femme, bien sûr.
Harry réussit à masquer sa colère promptement et Keira retint un sourire victorieux.
Si le roi était en colère, c'était parce qu'il savait qu'il était battu.
Et bien sûr, il ne pourrait revenir sur sa promesse, et serait donc obligé de la décharger de son obligation à trouver un époux.
Alors qu'il était sur le point de dire quelque chose, Harry fut arrêté par sa femme, qui lui chuchotait quelque chose à l'oreille.
Peut-être que la reine essayait de l'apaiser, pensa Keira avec espoir.
Après tout, Fiona avait toujours été considérée comme une emprise bénéfique sur la personnalité sévère de son mari.
Bien qu'il fasse attention à sa femme, le roi gardait ses yeux bleus fixés sur Keira.
Ce regard perçant donnait l'impression de la voir à l'intérieur, de mesurer ses forces et ses défauts, de l'évaluer, de percer les mystères de son âme.
Finalement, Harry commença à rire. Keira poussa un soupir d'allégement, certain que le roi trouvait tout cela très drôle.
Bien sûr, elle sortirait de cette audience triomphante. Bientôt, elle pourrait rentrer chez elle en femme libre !
-Alors peu importe ! parla Harry haut et fort. Macfarlane est l'élu.
Keira pouvait à peine croire ce qu'elle venait d'entendre.
Elle était sûre que son choix serait réfuté, ou que tout du moins, elle serait obligée de choisir un autre soupirant.
Mais il ne lui était jamais venu à l'esprit que le roi la laisserait épouser le chevalier noir, un solitaire capable de fermer les portes de son château à tous ceux qui vivaient en dehors des murs sombres qui entouraient le domaine. Pendant un instant, elle sentit le sol glisser sous ses pieds, mais elle tint bon.
Harry se contenta de sourire à son étonnement. De toute évidence, la tentative de le tromper s'était avérée nulle et il n'hésiterait pas à la punir pour son attitude scandaleuse.
Oh mon Dieu, Libby avait raison.
Elle avait réussi à se mettre dans un chaos encore plus grand qu'avant... à moins que... à moins que...
-Tout naturellement, je m'attendais à ce que votre choix se porte sur l'un des seigneurs qui vous a été présenté lors de votre séjour ici.
Cependant, comme vous avez tenu à le préciser vous-même, je vous ai donné l'autorisation de choisir un époux parmi tous mes nobles.
Votre choix était insolite, imprévu, et McFarlane est quelqu'un que je ne recommanderais pas. Toutefois, je ne vois aucune raison de nier le souhait de votre cœur.
Les paroles du roi suintaient une subtile ironie, la faisant trembler.
- De toute façon, je pense que vous ferez du bien à McFarlane, vous serez un ange de lumière pour notre chevalier noir, vous pourrez peut-être le dompter ? La question était posée au public, qui n'hésita pas à rire avec anxiété.
Fiona sourit calmement et Keira se rendit vite compte qu'elle n'aurait aucune aide féminine dans cette affaire épineuse.
Très bien alors, clôtura le roi comblé, que votre voyage se passe bien, vous pourrez partir demain et rejoindre Grimwood avant Noël.
Keira ne savait pas quoi dire. Partir si tôt ? Avec beaucoup de difficulté, elle réussit à se calmer convenablement pour murmurer de vides remerciements.
Puis elle s'inclina et quitta la salle, toujours inapte à croire qu'elle était sur le point d'épouser un homme dont elle ne connaissait que la renommée et les rumeurs terrifiantes qui l'entouraient.
Keira Shearer faisait ses bagages quand Libby apparut.
-Et alors, madame ? demanda la domestique en frémissant, le souffle interrompu.
Elle ne prit pas la peine de se retourner et continua à ranger les robes à l'intérieur du coffre.
-Nous partons demain matin... pour Grimwood. La femme de chambre se mit à gémir doucement, comme si elle chantait un chant funèbre.
Finalement, Keira se tourna pour la regarder.
S'il te plaît, ne t’évanouis plus, j'ai d'autres choses plus importantes à faire que de te ramasser par terre.
-Mais, madame, pourquoi ? Pourquoi avoir choisi cette créature, alors que les plus beaux seigneurs du royaume étaient réunis à la cour ?
En dépit d'être mignonne, tout le monde agirait comme mon possesseur, pensa Keira avec agacement.
Jamais de sa vie elle ne s'était soumise à un seigneur.
Son père et ses frères l'avaient toujours laissé livrer à elle-même.
Elle n'avait jamais été obligée de suivre les ordres de quelqu'un d'autre ou de suivre d'autres penchants que les siens.
De ce fait, elle n'avait pas l'intention de commencer maintenant, décida-t-elle avec fureur en rangeant ses chaussons.
-Mais McFarlane ? ! dit Libby en faisant le signe de croix.
Il est le mal personnifié ! On dit que c'est un magicien, un spécialiste de la magie noire, un fidèle… du démon !
C'est pourquoi ils l'appellent le chevalier noir, car il a un lien avec le diable ! Et maintenant qu'il est emprisonné à Grimwood, il refuse de quitter ses terres.
Cependant, il envoie des enchanteurs et des sorcières pour apprendre les mystères de la sorcellerie.
Il les jette ensuite et invoque les esprits pour effectuer ses sombres desseins.
On dit que ceux qui entrent dans son antre… n'en reviennent jamais.
Keira baissa la tête comme si elle ne pouvait pas supporter le fardeau de ce qu'elle venait de dire. Remarquant la terreur de la bonne, Keira la serra tendrement dans ses bras.
-Rumeurs ! Quel étourdi ! Tous les grands chevaliers nourrissent souvent des légendes sur eux-mêmes afin de planter la peur dans le cœur de leurs concurrents.
Ce chevalier noir est un mortel ordinaire, tu verras, dit-elle en tapotant le dos de Libby et en la forçant à s’asseoir sur un siège pendant qu’elle retournait faire ses valises.
-Mais pourquoi, madame, pourquoi ? insista encore la vieille domestique. Était-ce votre plan… de nous envoyer immédiatement dans les bras du mal ?
-J'avoue que j'avais espéré que le roi rejetterait mon choix, mais il a refusé d'accepter que j’aie eu raison de lui et a donc décidé de me donner une leçon.
Keira plaça une Bible sur les robes pliées et ferma une des malles.
Libby recommençait à geindre et à secouer la tête d'un côté à l'autre.
Arrêtez ces bêtises tout de suite, ordonna Keira, essayant de ne pas perdre son aplomb.
Ne vous inquiétez pas pour cet affreux chevalier, je vous promets que nous ne resterons pas à Grimwood assez longtemps pour être maltraitées.
La servante la regarda désorientée, ne comprenant pas le commentaire.
-Pensez-vous que McFarlane veut qu'une femme espionne ses activités lugubres ? Je ne pense pas.
Il ne montre aucune préoccupation pour la vie de cour, et il ne semble pas se préoccuper de l'argent.
Je suis sûre qu'il refusera de m'accepter comme épouse.
De cette façon, je pourrai rentrer chez moi, libre et non mariée, dit-elle, plus sûr qu'elle n'en avait l'impression.
- Ce serait insensé ! Même le chevalier noir ne peut défier un ordre du roi ! Keira haussa les épaules et reporta son attention sur ses bagages, finissant les derniers vêtements.
-J'ai entendu dire que McFarlane vit selon ses propres codes.
- Oui, seulement il ne s'opposera assurément pas au roi, insista Libby.
- S'il ne s'oppose pas à l'ordre d’Harry alors nous nous marierons.
À mon avis, avoir un sauvage pour mari n'a pas autant d'importance qu'une autre. Elle claqua le couvercle du coffre si fort que le bois faillit se fissurer en deux.
L'air était polaire le lendemain matin et Keira serra la cape doublée de fourrure contre son corps, à la recherche de chaleur et de confort.
Keith Neil, l'un des hommes du roi, dirigeait le petit groupe, composé de six gardes et de trois domestiques.
Une silhouette mince, de petite taille, attira aussitôt son attention.
-Qui est-ce ? demanda-t-elle curieusement.
-Le pasteur bien sûr, répondit sèchement Keith. De cette façon, nous serons sûrs que le mariage s'est réellement effectué.
Peut-être que le roi soupçonne qu'il n'y a pas de prêtres à Grimwood ... Irritée par l’impertinence du commentaire, Keira s'éloigna au galop, essayant de ne pas se laisser envahir par son malaise.
Bien qu'elle ait utilisé la sombre renommée de McFarlane dans l'espoir d'échapper à l'imposition du roi, elle ne croyait pas un mot de ce qui se disait sur le Chevalier noir.
L'expérience lui avait appris que les clabaudages se répandaient vite et sont constamment exagérés.
Elle était donc sûre que les terribles rumeurs n'étaient que cela : des rumeurs.
Le fait qu'il n'y avait pas d'aumônier à Grimwood ne signifiait pas que McFarlane l'avait chassé avec ses pratiques de sorcellerie noire.
Keira faillit exploser de rire et soudain la présence du curé dans le groupe lui parut assez divertissante.
Peut-être que le chevalier noir déciderait-il de garder le pauvre homme au château, mais sûrement pas d'officier à la cérémonie du mariage.
Après tout, vous pouvez amener un cheval à l'abreuvoir, mais vous ne pouvez pas le forcer à boire.
Elle avait choisi le baron McFarlane, mais il ne l'avait pas choisi.
Ainsi, révérend ou non, il ne pouvait imaginer que quelqu'un le force à s'unir.
Et puis elle serait libre de rentrer chez elle ... Il était clair que Keith ne l'aimait pas le moins du monde, et chaque jour qui passait, il poussait les chevaux vers l'avant, comme si le groupe se dirigeait droit vers une lutte et non vers un mariage.
Libby gémit et se plaignit d'épuisement, mais Keira tint bon.
Plus tôt ils atteignaient le domaine de McFarlane, plus vite elle pourrait rentrer chez elle.
Cependant, alors qu'ils approchaient de Grimwood, un sentiment étrange commença à l’envahir.
Le paysage était impressionnant, brut. De vastes plaines s'étendaient à perte de vue et une forêt sombre imposait sa présence menaçante.
C'était le soleil couchant, lorsque Keira, pour la première fois, posa les yeux sur le château du chevalier noir, et malgré toutes ses décisions valeureuses, elle ressentit un terrible pincement au cœur.
Le soleil se couchait à l'horizon, projetant des ombres intenses sur les vieux murs de pierre.
L'édifice massif et rectangulaire projetait ses tours noires à l'infini, défiant les cieux.
Une brume grise et humidifiée s'étendit sur les environs, comme venue de nulle part, enveloppant Grimwood d'un linceul spectral.
L'effet était si effrayant que Keira se sentit chanceler et se demanda un instant si McFarlane avait vraiment des pouvoirs surnaturels, des pouvoirs qui lui permettaient de commander les éléments de la nature et de provoquer un épais brouillard pour cacher son château des regards indiscrets et des visiteurs indésirables.
Les gémissements angoissés de Libby la tirèrent de cette sorte de torpeur.
Remarquant que les serviteurs se signaient et que le prêtre murmurait des paroles incompréhensibles, des prières ou des malédictions peut-être, Keira mit son hésitation de côté et avança.
Puis elle attendit que les gardes du roi franchissent le pont-levis.
Au moins, elle aurait la chaleur d'un feu et la douceur d'un lit pour la réconforter.
Et qui sait, demain, quand elle rentrera chez elle, elle serait également débarrassée de la neige.
Bien sûr, malgré sa mauvaise humeur constante, Keith ne refusera pas de la raccompagner.
Cependant, s'il avait le courage de refuser, elle n'hésiterait pas à demander l'aide de certains des hommes de Grimwood.
Après tout, elle sera l'épouse rejetée du seigneur du château.
Soudain Keith arriva au galop, une expression furieuse sur le visage.
-On nous a refusé l'autorisation de traverser le pont rapporta t-il, écumant de rage.
-Pourquoi ? Bien qu'elle ait hâte d'échapper au froid glacial, Keira décida que ce genre de traitement grossier était un motif de célébration.
McFarlane refuserait peut-être de la voir ? Peut-être pourrait-elle repartir pour chez elle encore plus tôt qu'elle ne l'avait imaginé.
-Parce que le château est déjà fermé pour la nuit et tous les visiteurs sont interdits d'entrer jusqu'à demain matin.
Keira prit une profonde inspiration, prête à exprimer n'importe quel commentaire, cependant elle entendit un gémissement angoissé.
Libby se balançait dangereusement sur son cheval, comme si elle allait s'évanouir.
En quelques secondes, elle était à côté de la servante, la soutenant de son bras.
-Qu'est-ce que c'est que cela ? demanda-t-elle hautainement.
J'exige de parler au Baron McFarlane tout de suite !
-C'est ce que j'ai fait, répondit Keith avec colère.
Mais ma demande a été refusée jusqu'à demain.
Convaincu, bien que furieux, l'émissaire du roi ordonna aux serviteurs de construire leur camp à l'ombre du château.
Un autre gémissement de Libby attira l'attention de Dulce.
-Arrête ça, ou je te laisse tomber par terre, avertit-elle, impatiente des crises de colère de la bonne.
-Oh, madame, c'est comme nous le craignions.
Le chevalier noir est une créature des ténèbres.
-S'il était une créature des ténèbres, alors il devrait être ici, profitant de son environnement.
C'est une créature de grossièreté ! Je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un refusant l'abri aux visiteurs.
Et dire que nous sommes ici par ordre du roi ! Ce chevalier noir est trop audacieux.
Bien que l'idée de dormir une autre nuit dehors quand un lit moelleux était à portée de main la dérangeait, le défi de McFarlane l'impressionnait.
En fait, tout se passait bien selon ses plans. - L'homme est un diable, notez bien mes mots. Libby marmonna d'un ton lugubre.
Et vous marquez bien mes propos, revint Keira, un sourire triomphant aux lèvres.
C'est un homme grossier qui n'hésitera pas à défier les ordres du roi demain ! Et puis… alors nous pourrons rentrer à la maison.
Le lendemain matin, le pont-levis fut finalement abaissé sur le fossé profond qui entourait le château et le groupe dirigé par Keith put entrer dans Grimwood.
Habituée aux déplacements incessants de Dortmans, Keira fut surprise de trouver la cour presque déserte.
Le bâtiment avait l'air vide ! Sachant comment Libby interpréterait cette absence de personnes, elle évita de regarder la servante.
Même en considérant la légende créée autour du chevalier noir comme un tas d'absurdités, Keira ne put éviter le sentiment désagréable, à la limite de l'effroi, qui l'envahit lorsqu'elle entendit le pont-levis se relever.
L'espace d'un instant, elle se sentit enfermée dans une tanière, à la merci des bêtes…
Déterminée à faire face à la situation à tout prix, elle chercha à apaiser sa peur alors qu'un garde les conduisait à l'intérieur du château.
Mais la salle de Grimwood ne lui apporta aucun réconfort.
Immense et sombre, elle sentait la fumée et la moisissure, et on pouvait voir d'épaisses couches de terre s'accumuler sur les murs.
Quel genre d'homme serait capable de quitter sa propre maison dans cet état ? Les fenêtres étroites étaient fermées, laissant à peine passer les faibles rayons du soleil, insuffisants pour percer l'obscurité.
Le manque d'éclairage adéquat n'était pas rare, en particulier dans les vieux bâtiments comme le château de Grimwood, mais le problème était généralement résolu à l'aide de bougies et de torches, laisser allumer tout au long de la journée.
Cependant, malgré la taille impressionnante de la salle, il n'y avait pratiquement pas de bougies en vue.
Keira frissonna et regarda autour d'elle, essayant de voir à travers les ombres.
Même si la cheminée était allumée, le feu doux n'apportait que peu de chaleur et de confort.
De là où elle se tenait, l'autre bout du couloir était impénétrable, plongé dans une obscurité suffocante.
Keira refusa de regarder Libby qui s'était approchée du prêtre comme si elle cherchait protection.
Le groupe resta silencieux, l'atmosphère oppressante les enveloppant comme un manteau.
Dans le silence pesant, seuls les pas impatients de Keith pouvaient être entendus. L'émissaire du roi faisait les cent pas, son irritation grandissante non dissimulée.
Habitué à être traité avec une certaine déférence, il n'était pas satisfait de l'indifférence du baron McFarlane, surtout après sa soirée en plein air.
Juste au moment où Keith semblait prêt à exploser, un serviteur annonça que le chevalier noir avait commandé un repas à servir.
Même s'il était encore un peu tôt pour le déjeuner, les hommes se jetaient sur la nourriture, comme s'ils avaient faim non seulement de nourriture mais de quelque chose qui leur donnerait un sentiment de normalité.
-Allez, mangez madame, murmura Libby en tirant la jeune femme à ses côtés.
Mais Keira se sentait incapable de manger, surtout quand elle était consciente de la gravité de la tâche qui l'attendait.
Soudain, son plan parut trop audacieux, trop incertain pour réussir.
De plus, le château de McFarlane la dérangeait profondément, la déstabilisant à l'extrême. Jusqu'à présent, l'homme avait été à la hauteur de sa réputation.
Un seul domestique allait et venait de la cuisine, apportant des plateaux, coupant le rosbif, servant de la bière.
- Où est tout le monde ? demanda-t-elle avec étonnement, sans vraiment attendre de réponse.
Habituée à l'agitation de la grande salle de chez elle, où les voix des dames, des chevaliers, des serviteurs et des visiteurs se mêlaient dans un joyeux tumulte, il était impossible de ne pas ressentir ce silence inquiétant.
Le château était très calme, l'écho des murs vides transformant tout bruit en un bien inquiétant.
-Il est inhumain, vous pouvez en être sûre, chuchota Libby avec horreur.
-Ce n'est pas inhumain de vivre dans la pauvreté répondit Keira, un regard pensif sur le visage.
Ce n'est que maintenant que j'ai réalisé à quel point je prenais toujours certaines choses pour acquises.
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