La salle est brillamment éclairée et pleine d'invités. En haut de l'escalier se tient LADY CHILTERN, une femme d'une grave beauté grecque, âgée d'environ vingt-sept ans. Elle reçoit les invités comme ils montez. Au-dessus du puits de l'escalier est suspendu un grand lustre avec des lumières de cire, qui illuminent une grande tapisserie française du XVIIIe siècle représentant le triomphe de l'amour, d'après un dessin de Boucher-qui est tendu sur le mur de l'escalier. A droite, l'entrée de la salle de musique. Le son d'un quatuor à cordes se fait faiblement entendre. L'entrée sur la gauche mène à d'autres pièces de réception.MME. MARCHMONT et LADY BASILDON, deux très jolies femmes, sont assises ensemble sur un canapé Louis Seize. Ce sont des types de fragilité exquise. Leur affectation de manière a un charme délicat. Watteau va
...MME. MARCHMONT. Vous allez chez les Hartlock ce soir, Margaret ?...
DAME BASILDON. Je suppose. Es-tu
MME. MARCHMONT. Oui. Des fêtes horriblement fastidieuses qu'ils donnent, n'est-ce pas ?
DAME BASILDON. Terriblement fastidieux ! Je ne sais jamais pourquoi j'y vais. Je ne sais jamais pourquoi je vais n'importe où.
MME. MARCHMONT. Je viens ici pour faire mes études.
DAME BASILDON. Ah ! je déteste être éduqué
MME. MARCHMONT. Moi aussi. Ça met presque au niveau des classes commerciales, n'est-ce pas ? Mais la chère Gertrude Chiltern me dit toujours que je devrais avoir un but sérieux dans la vie. Alors je co
DAME BASILDON. [Regardant autour de lui à travers sa lorgnette.] Je ne vois personne ici ce soir qu'on pourrait peut-être appeler un objectif sérieux. L'homme qui m'a emmené dîner m'a parlé de sa femme la
MME. MARCHMONT. Comme c'est très insignifiant de sa part !
DAME BASILDON. Terriblement banal ! De quoi parlait ton homme ?
MME. MARCHMONT. À propos de moi.
DAME BASILDON. [Languissante.] Et vous étiez intéressé ?
MME. MARCHMONT. [secouant la tête.] Pas du tout.
DAME BASILDON. Quels martyrs nous sommes, chère Marguerite !
Ils se lèvent et se dirigent vers la salle de musique. Le VICOMTE DE NANJAC, jeune attaché connu pour ses cravates et son anglomanie, s'approche en s'inclinant bas, et entre en conversation.]
LE MAÇON. [Annonce les invités du haut de l'escalier.] M. et Lady Jane Barford. Lord Caversham.
Entre LORD CAVERSHAM, un vieux monsieur de soixante-dix ans, portant le ruban et l'étoile de la Jarretière. Un bon type Whig. Un peu comme un portrait de Lawrence.]
SEIGNEUR CAVERSHAM. Bonsoir, Dame Chiltern ! Mon petit vaurien est-il venu ici ?
DAME CHILTERN. [Sourire.] Je ne pense pas que Lord Goring soit encore arrivé.
MABEL CHILTERNE. [S'approchant de LORD CAVERSHAM.] Pourquoi appelez-vous Lord Goring un bon à rien ?
MABEL CHILTERN est un parfait exemple du type anglais de joliesse, le type fleur de pommier. Elle a tout le parfum et la liberté d'une fleur. Il y a vague après vague de soleil dans ses cheveux, et la petite bouche, aux lèvres entrouvertes, attend comme la bouche d'un enfant. Elle a la tyrannie fascinante de la jeunesse et le courage étonnant de l'innocence. personnes saines d'esprit, elle ne rappelle aucune œuvre d'art. Mais elle ressemble vraiment à une statuette de Tanagra, et serait plutôt ennuyée si on lui disait cela.]
SEIGNEUR CAVERSHAM. Parce qu'il mène une vie si oisive.
MABEL CHILTERNE. Comment peux-tu dire une chose pareille ? Eh bien, il monte dans le Row à dix heures du matin, va à l'Opéra trois fois par semaine, change de vêtements au moins cinq fois par jour et dîne au restaurant tous les soirs de la saison. Vous n'appelez pas cela mener une vie oisive, n'est-ce pas ?
SEIGNEUR CAVERSHAM. [La regardant avec une étincelle bienveillante dans ses yeux.] Vous êtes une jeune femme très charmante !
MABEL CHILTERNE. Comme c'est gentil de dire cela, Lord Caversham ! Venez nous voir plus souvent. Tu sais que nous sommes toujours à la maison le mercredi, et tu es si belle avec ta star !
SEIGNEUR CAVERSHAM. Ne va jamais nulle part maintenant. Malade de la société de Londres. Cela ne devrait pas déranger d'être présenté à mon propre tailleur ; il vote toujours du bon côté. Mais opposez-vous fortement à être envoyé dîner avec la modiste de ma femme. Jamais pu supporter les bonnets de Lady Caversham.
MABEL CHILTERNE. Oh, j'adore la London Society ! Je pense que ça s'est énormément amélioré. Il est entièrement composé maintenant de beaux idiots et de brillants fous. Juste ce que la société devrait être.
SEIGNEUR CAVERSHAM. Hum! Qu'est-ce que Gôring ? Bel idiot, ou l'autre chose ?
MABEL CHILTERNE. [Gravement.] J'ai été obligé pour le moment de mettre Lord Goring dans une classe à part. Mais il évolue avec charme !
SEIGNEUR CAVERSHAM. Dans quoi?
MABEL CHILTERNE. [Avec une petite révérence.] J'espère vous le faire savoir très bientôt, Lord Caversham !
LE MAÇON. [Annonce les invités.] Lady Markby. Mme Cheveley.
[Entrent LADY MARKBY et MME. CHEVELEY. LADY MARKBY est une femme agréable, bienveillante, populaire, avec des cheveux gris à la marquise et une belle dentelle. MME. CHEVELEY, qui l'accompagne, est grand et plutôt mince. Lèvres très fines et très colorées, un trait écarlate sur un visage blafard. Cheveux roux de Venise, nez aquilin et gorge longue. Le rouge accentue la pâleur naturelle de son teint. Yeux gris-vert qui bougent sans relâche. Elle est en héliotrope, avec des diamants. Elle ressemble plutôt à une orchidée et demande beaucoup à la curiosité. Dans tous ses mouvements, elle est extrêmement gracieuse. Une œuvre d'art, somme toute, mais montrant l'influence de trop d'écoles.]
DAME MARKBY. Bonsoir, chère Gertrude ! Si gentil de votre part de me laisser amener mon amie, Mme Cheveley. Deux femmes si charmantes devraient se connaître !
DAME CHILTERN. [Avance vers MRS. CHEVELEY avec un doux sourire. Puis s'arrête soudainement et s'incline assez loin.] Je pense que Mme Cheveley et moi nous sommes déjà rencontrés. Je ne savais pas qu'elle s'était mariée une seconde fois.
DAME MARKBY. [Génialement.] Ah, de nos jours les gens se marient aussi souvent qu'ils le peuvent, n'est-ce pas ? C'est le plus à la mode. [À la DUCHESSE DE MARYBOROUGH.] Chère duchesse, et comment va le duc ? Le cerveau est encore faible, je suppose ? Eh bien, il fallait s'y attendre, n'est-ce pas ? Son bon père était pareil. Il n'y a rien comme la race, n'est-ce pas ?
MME. CHEVELEY. [Jouer avec son éventail.] Mais nous sommes-nous vraiment rencontrés auparavant, Lady Chiltern ? Je ne me souviens plus où. Je suis hors d'Angleterre depuis si longtemps.
DAME CHILTERN. Nous étions à l'école ensemble, Mme Cheveley.
MME. CHEVELEY [Supercily.] En effet ? J'ai tout oublié de mes années d'école. J'ai la vague impression qu'ils étaient détestables.
DAME CHILTERN. [Froidement.] Je ne suis pas surpris !
MME. CHEVELEY. [Dans sa manière la plus douce.] Savez-vous, je suis très impatient de rencontrer votre mari intelligent, Lady Chiltern. Depuis qu'il est au ministère des Affaires étrangères, on a tant parlé de lui à Vienne. En fait, ils réussissent à épeler son nom dans les journaux. C'est en soi la renommée, sur le continent.
DAME CHILTERN. Je ne pense pas qu'il y aura grand chose en commun entre vous et mon mari, Mme Cheveley ! [Éloigne.]
VICOMTE DE NANJAC. Ah ! chère madame, file d'attente surprise ! Je ne t'ai pas vu depuis Berlin !
MME. CHEVELEY. Pas depuis Berlin, Vicomte. Il y a cinq ans!
VICOMTE DE NANJAC. Et tu es plus jeune et plus belle que jamais. Comment gères-tu ça?
MME. CHEVELEY. En faisant comme règle de ne parler qu'à des personnes parfaitement charmantes comme vous.
VICOMTE DE NANJAC. Ah ! tu me flattes. Vous me beurrez, comme on dit ici.
MME. CHEVELEY. Ils disent ça ici ? Quelle horreur de leur part !
VICOMTE DE NANJAC. Oui, ils ont une langue merveilleuse. Il devrait être plus connu.
[SIR ROBERT CHILTERN entre. Un homme de quarante ans, mais paraissant un peu plus jeune. Rasé de près, avec des traits finement coupés, les cheveux noirs et les yeux noirs. Une personnalité de marque. Peu de personnalités populaires le sont. Mais intensément admiré par quelques-uns et profondément respecté par le plus grand nombre. La note de ses manières est celle d'une distinction parfaite, avec une légère touche de fierté. On sent qu'il est conscient du succès qu'il a fait dans la vie. Un tempérament nerveux, avec un regard fatigué.
La bouche et le menton fermement ciselés contrastent de manière frappante avec l'expression romantique des yeux enfoncés. L'écart suggère une séparation presque complète de la passion et de l'intellect, comme si la pensée et l'émotion étaient chacune isolées dans leur propre sphère par une certaine violence de la volonté. Il y a de la nervosité dans les narines et dans les mains pâles, fines et pointues. Il serait inexact de le qualifier de pittoresque. Le pittoresque ne peut survivre à la Chambre des communes. Mais Vandyck aurait aimé se peindre la tête.]
SIR ROBERT CHILTERN. Bonsoir, Lady Markby ! J'espère que vous avez amené Sir John avec vous ?
DAME MARKBY. Oh! J'ai amené une personne bien plus charmante que Sir John. Le caractère de Sir John depuis qu'il a pris au sérieux la politique est devenu tout à fait insupportable. Vraiment, maintenant que la Chambre des communes essaie de devenir utile, elle fait beaucoup de mal.
SIR ROBERT CHILTERN. J'espère que non, Lady Markby. En tout cas, nous faisons de notre mieux pour faire perdre du temps au public, n'est-ce pas ? Mais qui est cette charmante personne que vous avez bien voulu nous amener ?
DAME MARKBY. Elle s'appelle Mme Cheveley ! Un des Cheveley du Dorsetshire, je suppose. Mais je ne sais vraiment pas. Les familles sont tellement mélangées de nos jours. En effet, en règle générale, tout le monde s'avère être quelqu'un d'autre.
SIR ROBERT CHILTERN. Mme Cheveley ? J'ai l'impression de connaître le nom.
DAME MARKBY. Elle vient d'arriver de Vienne.
SIR ROBERT CHILTERN. Ah ! Oui. Je pense que je sais de qui tu veux dire.
DAME MARKBY. Oh! elle y va partout et a de si agréables scandales sur tous ses amis. Je dois vraiment aller à Vienne l'hiver prochain. J'espère qu'il y a un bon chef à l'ambassade.
SIR ROBERT CHILTERN. S'il n'y en a pas, l'ambassadeur devra certainement être rappelé. Je vous en prie, indiquez-moi Mme Cheveley. Je voudrais la voir.
DAME MARKBY. Permettez-moi de vous présenter. [À Mme. CHEVELEY.] Mon cher, Sir Robert Chiltern meurt d'envie de vous connaître !
SIR ROBERT CHILTERN. [S'inclinant.] Tout le monde meurt d'envie de connaître la brillante Mme Cheveley. Nos attachés à Vienne ne nous écrivent rien d'autre.
MME. CHEVELEY. Merci, monsieur Robert. Une connaissance qui commence par un compliment se transformera à coup sûr en une véritable amitié. Cela commence de la bonne manière. Et je trouve que je connais déjà Lady Chiltern.
SIR ROBERT CHILTERN. Vraiment?
MME. CHEVELEY. Oui. Elle vient de me rappeler que nous étions à l'école ensemble. Je m'en souviens parfaitement maintenant. Elle a toujours obtenu le prix de bonne conduite. Je me souviens très bien que Lady Chiltern avait toujours reçu le prix de bonne conduite !
SIR ROBERT CHILTERN. [Souriant.] Et quels prix avez-vous obtenu, Mme Cheveley ?
MME. CHEVELEY. Mes prix sont venus un peu plus tard dans la vie. Je ne pense pas que l'un d'eux était pour bonne conduite. J'oublie!
SIR ROBERT CHILTERN. Je suis sûr qu'ils étaient pour quelque chose de charmant !
MME. CHEVELEY. Je ne sais pas si les femmes sont toujours récompensées pour leur charme. Je pense qu'ils sont généralement punis pour ça ! Certes, plus de femmes vieillissent aujourd'hui par la fidélité de leurs admirateurs que par autre chose ! C'est du moins la seule façon pour moi d'expliquer le regard terriblement hagard de la plupart de vos jolies femmes à Londres !
SIR ROBERT CHILTERN. Quelle philosophie épouvantable cela sonne ! Tenter de vous classer, Mme Cheveley, serait une impertinence. Mais puis-je vous demander, au fond, êtes-vous un optimiste ou un pessimiste ? Celles-ci semblent être les deux seules religions à la mode qui nous restent de nos jours.
MME. CHEVELEY. Oh, je ne suis ni l'un ni l'autre. L'optimisme commence par un large sourire et le pessimisme se termine par des lunettes bleues. D'ailleurs, ils ne sont tous les deux que des poses.
SIR ROBERT CHILTERN. Vous préférez être naturel ?
MME. CHEVELEY. Parfois. Mais c'est une pose tellement difficile à tenir.
SIR ROBERT CHILTERN. Que diraient ces romanciers psychologiques modernes, dont on entend tant parler, d'une telle théorie ?
MME. CHEVELEY. Ah ! la force des femmes vient du fait que la psychologie ne peut pas nous expliquer. Les hommes peuvent être analysés, les femmes. . . simplement adoré.
SIR ROBERT CHILTERN. Vous pensez que la science ne peut pas s'attaquer au problème des femmes ?
MME. CHEVELEY. La science ne peut jamais lutter contre l'irrationnel. C'est pourquoi elle n'a pas d'avenir devant elle, dans ce monde.
SIR ROBERT CHILTERN. Et les femmes représentent l'irrationnel.
MME. CHEVELEY. Les femmes bien habillées le font.
SIR ROBERT CHILTERN. [Avec un salut poli.] Je crains de ne pas pouvoir être d'accord avec vous là-bas. Mais asseyez-vous. Et maintenant, dis-moi, qu'est-ce qui te fait quitter ta brillante Vienne pour notre sombre Londres - ou peut-être la question est-elle indiscrète ?
MME. CHEVELEY. Les questions ne sont jamais indiscrètes. Les réponses le sont parfois.
SIR ROBERT CHILTERN. Eh bien, en tout cas, puis-je savoir si c'est de la politique ou du plaisir ?
MME. CHEVELEY. La politique est mon seul plaisir. Voyez-vous de nos jours, il n'est pas à la mode de flirter jusqu'à quarante ans, ou d'être romantique jusqu'à quarante-cinq ans, alors nous, les pauvres femmes de moins de trente ans, ou disons l'avoir, n'avons rien d'autre à nous offrir que la politique ou la philanthropie. Et la philanthropie me semble être devenue simplement le refuge de gens qui souhaitent embêter leurs semblables. Je préfère la politique. Je pense qu'ils sont plus. . . devenir !
SIR ROBERT CHILTERN. Une vie politique est une noble carrière !
MME. CHEVELEY. Parfois. Et parfois, c'est un jeu intelligent, Sir Robert. Et parfois, c'est une grande nuisance.
SIR ROBERT CHILTERN. Lequel le trouvez-vous ?
MME. CHEVELEY. JE? Une combinaison des trois. [Lâche son éventail.]
SIR ROBERT CHILTERN. [Il prend le ventilateur.] Permettez-moi !
MME. CHEVELEY. Merci.
SIR ROBERT CHILTERN. Mais vous ne m'avez pas encore dit ce qui vous fait honorer si soudainement Londres. Notre saison est presque terminée.
MME. CHEVELEY. Oh! Je me fiche de la saison londonienne ! C'est trop matrimonial. Les gens recherchent des maris ou se cachent d'eux. Je voulais te rencontrer. C'est tout à fait vrai. Vous savez ce qu'est la curiosité d'une femme. Presque aussi grand que celui d'un homme ! Je voulais immensément te rencontrer, et . . . pour te demander de faire quelque chose pour moi.
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