Les semaines s’étaient enchaînées, et avec elles, nos rendez-vous secrets. Alexandro et moi avions cessé d’être prudents. Ce qui n’était au départ que murmures et frôlements était devenu une habitude bien plus audacieuse. Parfois, quand maman n’était pas là, il venait me retrouver dans ma chambre, comme si de rien n’était. La frontière entre l’interdit et le quotidien s’était estompée, emportée par l’élan de notre attirance.
Maman, elle, ne soupçonnait rien. Elle semblait heureuse, en paix. Elle parlait souvent de l’avenir, de stabilité, de famille unie. Et moi, je souriais, silencieuse, avec ce poids invisible que je portais en moi. Devant ma mère , je l’appelais « papa » mais dans l’intimité, c’était « Alexandro » ou « bébé »
Puis, une nuit, tout bascula.Je me réveillai en sueur, le cœur battant, le ventre noué. Une nausée sourde m’envahit, me força à courir aux toilettes. Je mis ça sur le compte d’un mauvais repas, d’un stress passager. Mais les jours suivants, le malaise persista. Fatigue, vertiges, perte d’appétit… Mon corps semblait se révolter. Je n’avais rien dis à ma mère , j’avais décidé d’en parler d’abord car je n’avais pas aussi eu les menstrues ce mois là.
Le soir, alors que Alexandro me rejoignait discrètement, je lui avouai :
— Alexandro… je me sens bizarre depuis quelques jours.
— Qu’est-ce que tu veux dire, “bizarre” ?
— J’ai des nausées, des maux de tête… J’ai même failli m’évanouir cet après-midi. Et… j’ai du retard.
— Tu crois que tu pourrais être… ?
Je hochai la tête, sans un mot.
— Demain, je t’emmène chez un médecin. Dis rien à ta mère, on va juste vérifier, d’accord ?
— D’accord.
Le lendemain, il m’attendait devant l’école. On n’échangea presque pas un mot pendant le trajet. Une heure plus tard, le verdict tomba. Le médecin avait été clair, précis.J’étais enceinte.Je n’arrivais pas à parler. Alexandro serra la mâchoire, puis posa une main sur mon épaule.
— On va régler ça. Je sais que tu as peur. Moi aussi. Mais il faut agir vite.
— Et si maman le découvre… ? Si elle comprend que c’est toi… ?
— Elle ne saura rien, je te le promets. On va rester discrets. Je vais m’occuper de tout.
J’acquiesçai, les yeux embués. Ce n’était pas de la tristesse. C’était un vertige, une tempête silencieuse. Quelque chose se brisait en moi, mais je n’arrivais pas à dire quoi.
Le médecin m’avait donné un comprimé que j’avais bu immédiatement et m’avait dit que les effets allaient être rapide et les résultats palpables.
Cette nuit-là, après avoir pris le comprimé prescrit par le médecin, j’étais restée allongée dans ma chambre, les mains sur le ventre, le cœur battant à toute vitesse. Tout autour de moi semblait silencieux, immobile, comme suspendu. Vers minuit, j’avais senti une douleur sourde dans le bas-ventre, suivie de ce que je redoutais, mais espérais en même temps : du sang.
Je poussai un soupir de soulagement. C’était fait. La grossesse n’était plus qu’un souvenir flou, une erreur vite effacée. Au matin, je préparai mon sac pour l’école, y glissant des garnitures de rechange, pensant naïvement que tout allait redevenir normal. Alexandro me lança un regard discret avant de partir au travail, et je répondis par un sourire rassurant. Tout allait bien. C’est ce que je voulais croire.
Mais une fois arrivée au lycée, tout bascula.En plein cours de mathématiques, une douleur aiguë me traversa comme une lame. Je me pliai en deux sur ma chaise, tentant de contenir un gémissement. Puis je sentis quelque chose couler le long de mes jambes. Mon uniforme se tâchait rapidement. Les battements de mon cœur s’accélérèrent. Ma vue se troubla. Des chuchotements s’élevèrent autour de moi.
— Alice ! Ça va ? demanda une camarade en se penchant vers moi.
Je ne répondis pas. Mon corps ne répondait plus. En quelques secondes, tout devint noir.
Quand je repris conscience, j’étais allongée sur un lit étroit à l’infirmerie. Autour de moi, des voix confuses, un bourdonnement dans mes oreilles… puis, plus distinctement, celle de maman :
— Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi ma fille s’est-elle évanouie ? Elle allait très bien ce matin !
L’infirmière hésita un instant avant de répondre d’une voix basse, presque gênée :
— Madame… votre fille saigne abondamment . On pense qu’elle a pris quelque chose… pour interrompre une grossesse.
— Qu’est-ce que vous racontez ? Alice enceinte ? Ce n’est pas possible…
— Les symptômes sont clairs. Elle a peut-être tenté de le faire seule, discrètement.
— Non, non… Il doit y avoir une erreur. Elle aurait dû me parler ! Je l’aurais su !
— Il faut qu’elle soit transférée à l’hôpital. Elle a perdu beaucoup de sang. Ici, on ne pourra pas la stabiliser correctement.
Maman se précipita vers moi, ses mains tremblantes glissant sur mon front moite.
— Alice… tiens bon mon enfant, je t’amène à l’hôpital
À l’hôpital, l’attente fut longue. Maman ne cessait de faire les cent pas dans le couloir, les bras croisés, le regard vide. Lorsqu’enfin le médecin revint, son visage grave annonçait déjà la sentence.
— Elle a pris un médicament pour interrompre une grossesse. C’est ce qui a causé l’hémorragie. On a pu stabiliser son état, mais elle va devoir rester en observation quelques jours.
Maman reçut ces mots comme un coup de massue. Elle se laissa tomber sur le banc sans dire un mot, les yeux perdus dans le vide. Puis, lentement, ses mains couvrirent son visage. Elle se mit à pleurer en silence, des larmes épaisses, douloureuses, qu’elle ne retenait plus.
— Seigneur… murmura-t-elle. Seigneur, pourquoi ? Qu’ai-je fait pour mériter ça ? Pourquoi elle ? Ma fille… ma propre fille…
Je me sentais vidée, anéantie. Mais ce n’était pas le moment de fuir. Je devais affronter ce que j’avais déclenché. Alors, d’une voix faible, à peine audible, je dis :
— Maman… pardon… Je… je ne voulais pas que ça arrive comme ça. J’avais peur… je ne savais pas comment te le dire.
Elle releva lentement la tête, les yeux rouges, gonflés de larmes.
— Qui ?… Qui t’a fait ça ? Qui est le père, Alice?
Le silence s’installa. Je m’apprêtais à parler, à enfin tout avouer… Mais à ce moment précis, la porte de la chambre s’ouvrit brusquement.
— Excusez-moi, j’ai accouru dès que j’ai su… Comment elle va ? demanda Alexandro, essoufflé, visiblement inquiet.
Mon cœur manqua un battement. Maman se retourna vers lui, surprise, avant de reposer son regard sur moi.Je baissai aussitôt les yeux. Mes lèvres s’ouvrirent, mais aucun mot n’en sortit. Mon souffle se coupa. Mon regard se perdit dans le vide.
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