À bout de souffle

Les paroles qu’on se dit sont des paroles qui restent.

Mon père les répétait souvent, comme un avertissement que je refusais d’entendre. Lui qui voyait la vie comme un fardeau, lui qui portait la colère et la mélancolie dans chacune de ses respirations… je comprends maintenant pourquoi il a choisi de s’en aller de la manière la plus lourde qu’il soit. Mais ce soir-là, je ne savais pas encore que ces paroles allaient devenir une prophétie tragique.

Moi, je m’appelle Julio pour les intimes, Juliano Ancienzy sur mes papiers. Depuis ma naissance, ma mère m’a abandonné, ou du moins c’est ce que disait mon père. Je ne crois pas vraiment à son histoire : peut-être qu’elle a fui cette vie trop lourde pour elle, fatiguée de tout ce qui pesait sur elle. Peu importe. La vérité sur ma mère restera un mystère que je n’ai jamais pu résoudre, et qui laisse toujours une cicatrice invisible sur mon enfance.

Mon père… lui, il était là, mais jamais vraiment là. Son regard était souvent lourd, chargé de reproches, de regrets, d’un ennui profond qui me dépassait. Je me souviens des silences interminables à table, des éclats de voix soudains et des nuits où ses ombres semblaient envahir chaque recoin de la maison. C’était une relation faite de tensions et de mots tranchants, de silences pesants et de colères éclatantes. Je ne savais jamais ce qui allait déclencher l’orage.

Ce samedi du printemps, j’étais dans ma chambre, plongé dans mes scripts. L’écriture était mon refuge, mon échappatoire. Mes doigts couraient sur le clavier, créant des mondes où je contrôlais tout, où les personnages pouvaient dire ce que je n’osais pas dire, agir ce que je n’osais pas faire. Chaque phrase était un souffle de liberté, un espace où mes pensées sombres pouvaient exister sans conséquence. Je voulais devenir scénariste, raconter des histoires qui frappent, qui dérangent, qui captivent. Mais ce soir-là, la fiction et la réalité allaient se confondre de la manière la plus violente.

Mon père est entré. Son visage était fermé, ses yeux rouges de colère. Le ton monta rapidement, d’abord quelques reproches, puis des accusations anciennes, des souvenirs que je pensais enterrés depuis longtemps. Nos voix se sont élevées, frappant les murs comme des coups de tonnerre. Les mots volaient, tranchants et brûlants. Chaque réplique me semblait un coup porté à mon propre passé. Et soudain, dans un excès de rage et de désespoir, je lui ai lancé cette phrase :

— Va mourir !

Le silence qui suivit fut presque irréel. Je pensais que la colère s’éteindrait, que le tonnerre retomberait. Mais ce n’était pas un simple cri de frustration. Ce mot, simple et brutal, portait tout le poids de ma haine, de ma douleur, de mes années de frustration et de rancune accumulées. Et je ne savais pas encore que le destin, cruel et inattendu, venait d’y répondre.

Je me suis assis sur mon lit, respirant difficilement, incapable de penser clairement. Les minutes qui suivirent furent un mélange de peur et d’incrédulité. Je ne pouvais pas imaginer que mon simple mot pourrait avoir un impact réel. Et pourtant… la réalité allait bientôt me frapper avec une force que je n’avais jamais connue.

Dans ce tumulte, une pensée revenait sans cesse : « La vision de demain est une vision éphémère, seule le présent nous dit ce qu'il adviendra du futur. » Ce n’était plus une simple phrase, mais une vérité cruelle que j’allais expérimenter. Les mots ont ce pouvoir silencieux, ce poids invisible, capable de changer le destin. Ce soir-là, je ne savais pas encore que je venais de le découvrir de la manière la plus tragique qui soit.

Alors que je replongeais dans mes scripts, essayant de me convaincre que tout n’était qu’une illusion, un souffle de réalité me rappela que les choses ne reviendraient jamais comme avant. Mon père était parti, et mes paroles avaient laissé une trace indélébile. Le présent venait de frapper, implacable, et je devais maintenant affronter le poids de ce que je venais de créer.

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