La maison dormait. Dans le silence paisible de la nuit, seules les brises légères
faisaient danser les rideaux aux fenêtres entrouvertes. Aria, blottie dans sa
couverture, avait sombré dans un sommeil léger, bercée par le chant discret des
grillons.
Mais soudain, ses paupières s’ouvrirent brusquement. Une pensée la heurta
comme un éclair : la plante.
— Les fleurs de lune… la grand-mère m’a dit de les rentrer avant la rosée...
murmura-t-elle en se redressant.
Ces fleurs rares, que sa grand-mère avait confiées à ses soins avec tendresse,
perdaient leur vertu si elles étaient laissées à l’humidité de la nuit. Aria sauta de
son lit, enfila rapidement un châle, et sortit pieds nus sur le sol frais du jardin.
Dehors, la lune saignait dans le ciel, une lueur rougeâtre enveloppant le monde
d’une inquiétante poésie. Elle se hâta vers les corbeilles où les plantes étaient étalées. Un frisson remonta le long de sa nuque — l’air semblait plus lourd, plus
étrange.
Une fois les plantes soigneusement replacées dans leur boîte, un gémissement…
lointain, rauque, presque inhumain, traversa le silence. Aria s’arrêta, le cœur
suspendu.
Son regard se tourna vers la forêt.
Encore une fois, ce bruit. Plus fort. Un râle de douleur, comme une bête blessée.
Sans réfléchir, la boîte de plantes serrée contre elle, elle fit un pas… puis deux.
Jusqu’à poser la boîte sous un arbre et s’avancer seule, les sens en éveil.
Au bord d’une clairière à demi noyée dans la brume, elle le vit.
Une silhouette effondrée contre un tronc. Une cape noire souillée de sang. Des
ailes sombres repliées sur elles-mêmes, battues par la fatigue. Une lueur écarlate
vacillait dans l’obscurité.
Aria porta la main à sa bouche. C’était lui. Le roi maudit.
Elle s’approcha, lente, silencieuse, mais le craquement d’une branche fit tourner
la tête de l’homme. Ses yeux rouges s’ouvrirent, brûlants, sauvages. Il grogna,
dans un souffle douloureux.
— Qu’est-ce que... tu fais là ?, grogna-t-il, la voix déformée par la souffrance.
— Vous êtes blessé..., dit-elle d’une voix faible, mais déterminée. Je peux vous aider....
Il se redressa légèrement, le regard dur, les crocs luisants.
— Va-t’en.
— Non. Elle fit un pas de plus. Je peux soigner vos plaies. Elles vont s’infecter.
— Tu t’approches… malgré les flammes, murmura-t-il, presque comme un vers
ancien, vers ce mystère aux éclats d’âmes…
Elle s’agenouilla à ses côtés. Ses mains tremblaient, mais pas de peur. De
compassion. De fascination.
— Je veux juste vous aider.
Il la repoussa brusquement. Aria tomba sur le sol humide, les genoux égratignés.
— Tu es insensée, gronda-t-il, le visage crispé. Tu oses m’approcher, moi, le
monstre ? Tu crois que je ne te dévorerai pas, comme tous les autres ?
— Je crois que vous n’êtes pas un monstre, répondit-elle avec calme, essuyant la
boue sur ses mains. Je crois que vous êtes seul. Et fatigué.
Un silence tomba. Le vent souffla entre les branches, comme pour suspendre le
temps.
Il détourna le regard, prêt à s’envoler. Mais Aria saisit un pan de sa cape. Il se
retourna vivement, et sa capuche tomba, révélant son visage.
Elle resta figée.
Ses yeux rouges, sa peau pâle, sa mâchoire fine et sévère… il était d’une beauté
inhumaine. Tragique. Perdu.
Il la repoussa avec violence, mais sans vraie force. Il grogna :
— Tu es folle, humaine. Tu ne sais rien de ce que je suis.
— Alors montrez-moi., répondit-elle dans un souffle.
Un instant, il sembla déstabilisé. Puis il éclata d’un rire amer, grave et magnifique,
presque douloureux.
Et alors qu’il s’élevait dans le ciel comme un corbeau immense, il murmura entre
ses crocs :
> Danse avec l’ombre, laisse-là t’enlacer,
Chaque pas s’efface dans l’éternité,
Vie de murmures, des chants oubliés,
Symphonie du Néant à jamais.
Il disparut dans la nuit. Aria, le souffle court, resta seule au cœur de la clairière.
Mais son cœur ne l’était plus.
***Téléchargez NovelToon pour profiter d'une meilleure expérience de lecture !***
Comments