Un dossier bien trop lourd

L'aube se levait à peine, et déjà la ville s'agitait sous un ciel lourd de nuages gris. Derrière les vitres de son appartement, la jeune avocate se préparait à une journée qu'elle pressentait différente. Elle passa ses doigts fins dans ses cheveux, comme pour chasser une pensée qui la hantait. Elle ne savait pas encore que le passé, qu'elle croyait avoir laissé derrière elle, était sur le point de la rattraper.

Dans le miroir, elle contempla son reflet. Ses traits étaient plus durs qu'autrefois, mais ses yeux gardaient cette lueur déterminée qu'on lui connaissait au cabinet. Elle s'était forgé une réputation à force de nuits blanches et de dossiers brûlants. Son oncle, le seul parent qui lui restait, avait tout fait pour l'aider à bâtir cette carrière, mais au prix de bien des secrets.

Elle attrapa son dossier le plus urgent du jour et le glissa dans son sac. Elle savait que ce matin, elle aurait à défendre un client puissant, un homme que beaucoup redoutaient. Le genre d'affaire qui attire les regards et réveille les rumeurs. Tout ce qu'elle détestait.

En descendant les marches de son immeuble, elle sentit un frisson lui parcourir l'échine. Une silhouette sombre se tenait à l'angle de la rue, fumant une cigarette. Elle ne put distinguer son visage, mais son instinct lui soufflait que ce n'était pas un inconnu.

Elle se força à marcher d'un pas assuré, la tête haute, comme elle l'avait toujours fait. Pourtant, son cœur battait plus vite, cognant contre sa poitrine. Elle savait que cette journée marquerait un tournant.

Elle ignorait encore que derrière ce regard qui la suivait se cachait un lien avec son passé. Et qu'au bout du chemin, une vérité attendait, prête à briser le fragile équilibre qu'elle avait mis des années à construire.

La silhouette écrasa sa cigarette et la suivit du regard. Dans un souffle, il murmura un mot qu'elle n'entendit pas.

Le destin venait de lancer les dés.

Elle arriva au cabinet plus tôt que d'habitude, le cœur encore secoué par le souvenir de la silhouette de la veille. Ses talons résonnaient sur le sol carrelé, un écho presque menaçant. Elle avait l'habitude de ce lieu, de ses couloirs impersonnels, mais aujourd'hui, chaque porte close semblait receler un secret.

Elle s'installa à son bureau, la lumière pâle du matin filtrant à travers les stores. Elle sortit le dossier du client qu'elle devait défendre et le feuilleta machinalement. Pourtant, quelque chose clochait. Les premières pages semblaient banales : vol aggravé, chantage, extorsion. Mais plus elle avançait, plus les détails prenaient une teinte inquiétante.

Des noms apparaissaient. Des noms qu'elle connaissait, qu'elle avait entendus dans les chuchotements de son enfance. Son père les évoquait parfois, le regard fuyant, la voix teintée de crainte. Elle se figea. Ce dossier portait en filigrane la marque de son passé. Un passé qu'elle avait tenté d'enfouir.

Son oncle avait toujours eu des relations troubles avec certains milieux. Il prétendait vouloir la protéger, mais à quel prix ? Pourquoi avait-il tenu à ce qu'elle intègre ce cabinet précis, celui où son père avait travaillé, celui où les secrets semblaient s'être accumulés comme des sédiments de mensonges ?

Elle referma brutalement le dossier et posa sa main sur sa poitrine. Son cœur battait à tout rompre. Elle comprit qu'elle n'avait plus le choix : ce n'était plus seulement une affaire professionnelle, mais une question de survie. Et peut-être aussi, sans qu'elle le sache encore, une question d'amour et de trahison.

Dans le couloir, elle crut entendre un pas qui s'arrêtait devant sa porte. Une main hésita sur la poignée. Puis, le silence. Elle se leva brusquement et ouvrit la porte : personne.

Mais alors, ses yeux se posèrent sur une enveloppe glissée sous la porte. Elle la ramassa, ses mains tremblaient légèrement. Elle la déchira précipitamment. À l'intérieur, un seul mot, griffonné à la hâte, presque illisible : "El Doro."

Son estomac se noua. Ses yeux s'écarquillèrent, l'air se fit rare. C'était le nom dont elle avait tant entendu parler, murmuré dans les rumeurs les plus sombres. Un cartel puissant, craint dans un pays où la loi se pliait à ses volontés.

— "Non... pas eux..." murmura-t-elle, les lèvres sèches.

Elle sut alors que ce nom serait la clé. La clé de son passé, de ses peurs... et peut-être de sa liberté.

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