Chapitre 5 L’éclat sous les cendres

Le vent du Nord s’était tu, comme s’il savait que les pas du Grand-Duc foulaient à présent un sol sacré. Sho apparaissait à l’horizon, ceinte de collines aux teintes opalines, baignée d’une lumière douce qui contrastait cruellement avec la désolation de Soo. Le contraste frappait, même aux yeux d’un homme tel que Firen, endurci par les batailles, les trahisons, les secrets de cour et les pactes silencieux.

Monté sur un étalon noir à la crinière cendrée, le Grand-Duc Firen avançait au trot, suivi d’une escorte réduite, discrète mais alerte. Dans son cœur, une pression sourde résonnait. Il ne s’agissait plus seulement d’une mission royale — c’était une quête où chaque battement du temps pouvait coûter l’avenir d’un royaume.

À l’entrée de la ville, les gardes saluèrent sans poser de question. Son blason, une flamme entourée de givre, suffisait à faire taire les soupçons. Il n’était pas là pour jouer de l’épée, mais pour chercher une étincelle — une vérité fragile, dissimulée sous des couches de douleur et d’exil.

Sho respirait la paix. Ses ruelles pavées, bordées de fleurs en pot suspendues aux balcons, semblaient fredonner un chant ancien. Les marchands offraient leurs denrées avec le sourire ; les enfants couraient, libres. Rien, absolument rien, ne laissait deviner qu’une élue pouvait s’y cacher. Et pourtant, c’est ici, dans l’ombre de cette oasis florissante, que l’empreinte des Dieux l’appelait.

Firen s’arrêta à l’auberge la plus réputée de la ville, demandant une chambre simple, loin des regards. Il fit appeler le propriétaire du restaurant où travaillait Kahalya, prétextant vouloir remercier personnellement les personnes aidant les anciens démunis de Soo.

L’homme arriva en fin de journée, encore vêtu de son tablier de travail. Son regard était franc, son dos droit, ses paroles mesurées.

— Monseigneur, Kahalya est l’une de nos perles. Elle travaille avec une discipline rare, et un cœur encore plus grand. Elle n’a jamais refusé une tâche, ni même un sourire, malgré ce qu’elle a traversé. Elle habite seule, dans une petite maison près du marché. Et oui… elle a les cheveux rouges comme le feu. Mais ses yeux… je n’ai jamais vu autre chose que du vert en eux.

Firen hocha doucement la tête.

— Merci. Dites-lui que demain matin, à l’aube, une nouvelle cliente l’attendra à sa table. Qu’elle ne soit ni en retard, ni troublée.

Le restaurateur le regarda avec surprise, mais obéit sans question. Il savait lire les silences aussi bien que les mots.

À l’aurore, le ciel de Sho s’embrasa d’un orange nacré. Firen prit place à une table isolée du restaurant. Son manteau noir jetait une ombre longue sur les pavés.

Kahalya arriva peu après, tenant un plateau avec grâce. Son regard croisa celui de Firen. Quelque chose dans ses prunelles sembla vaciller. Un frisson. Un instinct.

— Bonjour monsieur, dit-elle doucement. Que puis-je vous servir ?

— La vérité, répondit Firen. Et un thé, si possible.

Elle se figea un instant, puis sourit, comme si elle venait de deviner un jeu ancien. Ses mains tremblaient à peine, mais son cœur, lui, cognait comme un tambour de guerre.

Le Grand-Duc inclina légèrement la tête.

— Ne nie pas qui tu es. Le feu en toi ne peut être éteint. Je viens pour te protéger, Kahalya… pas pour te traquer.

Elle ne répondit rien. Elle n’en avait pas besoin. Dans ses yeux, ses vrais yeux, l’or commençait à briller à travers le vert artificiel. Elle resta figée, le plateau suspendu entre ses mains comme un fragment de destin trop lourd pour être porté, trop ancien pour être ignoré. Le mot “vérité” s’était glissé dans ses veines comme une lame douce, réveillant les cicatrices de quinze hivers de silence.

Le murmure de la taverne s’était tu autour d’eux. Les conversations se faisaient lointaines, comme emportées par une mer invisible. Dans ce silence naissant, Kahalya sentit son souffle devenir aussi fragile qu’une feuille d’automne prête à tomber.

— Comment savez-vous mon nom ? murmura-t-elle enfin, la voix plus rauque qu’elle ne l’aurait voulu.

Firen la fixa, sans la brusquer.

— Parce que le désert pleure ton absence, et les Dieux ont gravé ton souvenir sur les pierres de Soo. Une ville meurt, Kahalya, parce qu’elle t’a rejetée.

Elle tressaillit. Ses doigts se refermèrent plus fort sur le bois lisse du plateau.

— Je ne suis personne. Je… je voulais seulement vivre, rien d’autre. Travailler, dormir, respirer. C’est interdit, ça, pour l’élue d’une prophétie ?

Une colère douce, presque enfantine, s’était glissée dans sa voix. Mais ses yeux, eux, brillaient d’un éclat qu’aucune larme ne pouvait éteindre. L’or sous le vert remontait lentement, tel un secret refusant de rester enfoui.

— Non, ce n’est pas interdit, dit Firen avec gravité. Mais ce n’est plus possible. Ton destin t’a déjà retrouvée. La ville où tu es née se consume, et les Six ne pardonneront pas l’indifférence. Tu dois venir avec moi, Kahalya. Pas comme prisonnière. Comme héritière d’une flamme ancienne.

Elle posa le plateau. Lentement. Comme si chaque geste devait être pesé, mesuré, accepté par les étoiles elles-mêmes.

— Et si je refuse ? demanda-t-elle.

— Alors la sécheresse gagnera Sho. Et peut-être tout Zoha. Les Dieux ont déjà commencé à punir le royaume. Leur patience a des limites que même un roi ne peut sonder.

Kahalya détourna les yeux. Une larme roula le long de sa joue. Ce n’était pas une larme de peur. C’était celle d’une enfant qu’on venait chercher trop tard, d’une jeune fille qu’on avait forcée à devenir une élue quand elle aurait voulu être libre.

— Je ne suis pas prête, dit-elle enfin.

Firen se leva. Il inclina doucement la tête, en signe de respect.

— Aucun élu ne l’est jamais. Mais les temps n’attendent pas, Kahalya. Demain, à l’aube, je repars. Je t’attendrai à la lisière de la ville. Si tu ne viens pas… je dirai au roi que tu es morte. Et je respecterai ton choix. Mais sache que ton absence condamnera beaucoup d’innocents.

Puis, sans un mot de plus, il s’éloigna, laissant Kahalya seule, au milieu de la taverne où les rires avaient repris, comme si rien ne s’était dit. Comme si le monde ne venait pas de basculer autour d’une simple table, dans une lumière d’aurore.

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