La brume du matin nimbait les hauteurs où Kahalya avait trouvé refuge. Perchée au bord d’un promontoire surplombant la vallée, elle observait le soleil se lever derrière les cimes d’azur, déchirant lentement le voile nocturne. Ses mains, couvertes de petites coupures dues aux ronces, tenaient une tasse fumante qu’elle avait remplie d’une infusion de feuilles d’ayora et de menthe sauvage. Le vent frais jouait avec ses cheveux rouges, les entortillant comme pour lui rappeler qu’elle appartenait à la nature plus qu’à un peuple.
Elle se sentait déracinée. Comme si l’on avait arraché son cœur d’un sol trop aride, trop ingrat. Et même si la terre de Sho l’avait brièvement accueillie, elle savait au fond d’elle que rien n’était acquis. Ni la paix, ni l’avenir.
Depuis plusieurs jours, Kahalya dormait peu. La nuit, elle rêvait souvent d’un cercle de flammes l’entourant, des voix anciennes murmurant dans une langue oubliée. Et lorsqu’elle ouvrait les yeux, le murmure persistait, comme si les Dieux eux-mêmes l’observaient à travers les ombres.
Une voix en elle, douce mais insistante, posait sans relâche la même question :
« Pourquoi n’es-tu pas allée à eux ? Pourquoi n’as-tu pas répondu à l’appel ? »
Elle y répondait toujours par le silence. Car elle-même ne connaissait pas la réponse.
Peut-être avait-elle peur.
Peur de ne pas être celle que les Dieux attendaient.
Peur d’être brisée une fois encore par les mains de ceux qui exigent sans comprendre.
Peur, surtout, de se perdre dans un destin qui ne serait plus le sien.
Elle s’accroupit et effleura le sol de ses doigts. Elle avait toujours trouvé dans la terre une forme de vérité. Chaque graine, chaque pierre, chaque souffle de vent portait en lui la mémoire du monde. Et si les Six Dieux Majeurs veillaient vraiment, alors ils la connaissaient déjà mieux qu’elle ne se connaissait elle-même.
Ce matin-là, elle descendit au village sans mettre ses lentilles.
Les enfants, en la voyant, clignèrent des yeux. L’un d’eux s’exclama en riant :
— Kahalya ! Tes yeux brillent comme les pièces de la Déesse Bia !
Elle sourit doucement, mais au fond, une vague de peur l’envahit. Même dans ce lieu qu’elle croyait sûr, le secret pourrait la trahir.
Au restaurant, son patron, un vieil homme au dos voûté mais au regard clair, l’accueillit avec un bol de riz au lait et une parole sibylline :
— L’eau finit toujours par révéler la forme de la pierre qu’elle caresse. Tôt ou tard, ce que tu caches remontera à la surface.
Elle ne répondit pas. Mais cette phrase resta avec elle toute la journée.
Alors qu’elle servait les clients, essuyait les tables, riait même parfois avec les habitués, son esprit s’éloignait. Elle revoyait le roi qu’on lui avait souvent décrit : impitoyable, mais rongé par l’absence d’une prophétie accomplie. Elle pensait au prince héritier, qui devait la haïr sans même connaître son visage. Elle pensait à la reine, à ses mains qui n’avaient jamais tenu les siennes.
Serait-elle un fardeau, ou un remède ?
La nuit venue, elle retourna à son campement en montagne. Les étoiles scintillaient si fort que le ciel semblait brûler. Elle s’assit seule, au bord du vide, les genoux contre sa poitrine, et laissa les larmes couler sans bruit.
Elle pleura tout ce qu’elle n’avait jamais osé dire. L’injustice, la solitude, la peur… mais aussi l’espoir, ténu, fragile, indomptable.
Un jour, je partirai, se dit-elle.
Mais ce jour-là, ce sera moi qui choisirai.
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