Chapitre 3 Les vents du Nord et la marque de Dieux

Loin de la quiétude lumineuse de Sho, derrière les murs blancs et dorés du Palais Royal de Zoha, la tension était telle qu’on aurait cru la pierre elle-même sur le point de se fissurer. Le silence de la salle du trône fut brisé par des pas précipités, le claquement net des bottes sur le marbre, et le souffle court d’un homme à bout de course.

— Votre Altesse ! Une grande sécheresse… a frappé la ville de Soo !

Deux gardes, le souffle court eux aussi, se jetèrent à terre, prosternés jusqu’au sol comme des enfants pris en faute.

— Nous… nous n’avons pas pu l’arrêter, Majesté. Pitié, pardonnez-nous…

Le roi se leva lentement de son trône. Son regard, lourd de fatigue et d’ombre, passa sur eux comme une lame émoussée. Depuis quinze ans — depuis la pluie prophétique d’étoiles filantes — il n’avait eu de cesse de la chercher. La fille aux yeux d’or. L’enfant des cieux. Et il avait payé ce zèle de son propre sang : plusieurs familles, nobles comme pauvres, avaient péri pour l’avoir trahi avec des faux éclats dans les yeux.

Certains murmuraient qu’il ne dormait plus, que ses enfants lui étaient presque étrangers. Et pourtant il les avait eus : Kodri, le second prince, et Naliha, douce étoile de la cour. On se demandait comment. Peut-être les dieux eux-mêmes avaient-ils pris pitié de la reine Amalie.

— Attendez… laissez-le parler, dit-il d’une voix lasse. Et retournez à votre poste. Non mais vraiment… quels imbéciles m’a-t-on donnés.

— C’est moi, père, répondit une voix jeune et claire.

Le roi tourna les yeux. Nioh. Son aîné. Son héritier.

— Ah, mon fils. Parle donc, souffla-t-il en se tournant vers l’étranger qui avait osé entrer sans permission.

L’homme s’inclina profondément avant de parler. Sa voix tremblait, non de peur, mais de la mémoire vive de ce qu’il avait vu.

— Un marchand nous a raconté… Soo n’est plus une oasis, mais une tombe à ciel ouvert. Les maisons s’effritent comme du sable, les ruelles sont hantées par les morts. Il n’y a plus de vie que grâce aux marchands et aux vivres envoyés de Sho, la ville voisine. Et encore… Il marqua une pause. Un phénomène étrange, Majesté… les habitants ne peuvent quitter la ville. Ceux qui tentent se heurtent à un mur invisible. Un sort. Une colère divine. Pourtant, Sho, elle, est intacte. Fleurissante. C’est comme si la sécheresse s’arrêtait à ses frontières, comme si Soo seule était jugée.

Le roi jeta une bourse de koans aux pieds du messager.

— Voilà pour toi. Tu as bien parlé.

— Merci, Majesté. Une dernière chose… on m’a dit qu’une jeune fille aux cheveux rouges a été chassée de Soo. Elle vivrait maintenant à Sho.

Le roi ne répondit rien. L’homme se retira.

Nioh s’approcha, le regard dur.

— Père… et si c’était elle ? L’élue ?

Le roi soupira, longuement, comme si ce souffle voulait emporter quinze années de regrets.

— Je ne sais pas… mais si c’est le cas, alors les Dieux nous font enfin grâce. Peut-être retrouverai-je un jour les bras de ta mère… Peut-être vivrai-je à nouveau. Mais… Nioh… mon fils… je suis désolé. Je vous ai abandonnés. Toi, Kodri, Naliha. Le trône m’a volé à vous.

Nioh serra les poings.

— Et moi je ne pourrai jamais aimer cette fille. Comment le pourrais-je ? Elle nous a volé un père. Elle connaît la prophétie. Tout le monde la connaît. Alors pourquoi n’est-elle pas venue ?

Le roi se leva brusquement.

— Assez ! Ne souille pas son nom. Tu parles de ta future épouse, de l’élue des Dieux ! Pars. Et ne reviens que lorsque ta langue sera digne de ton cœur.

Chassé, le prince quitta la salle en silence, les épaules pleines de colère.

Alors le roi fit mander son majordome. Il prit une plume, un parchemin, et rédigea une lettre. L’encre noire traçait l’urgence sur la page.

Au Grand-Duc du Nord, Firen,

Vous irez à Soo. Vous y verrez ce que moi je ne puis encore croire. Recherchez la fille. Le feu dans les cheveux. La vérité dans les yeux. Et si elle vit… ramenez-la-moi.

Le roi de Zoha.

Trois jours plus tard, Firen atteignit Soo.

La ville était un spectre. Une cicatrice ouverte. Les murs s’écaillaient. Le ciel, lourd, refusait la pluie. Les habitants, efflanqués, s’amassaient autour de la délégation comme des enfants affamés. Le Grand-Duc distribua des vivres. Les bousculades cessèrent lorsqu’il menaça de tout retirer.

Puis il marcha seul dans les rues. Il vit les corps oubliés. Il sentit dans l’air les rémanences d’un sort ancien. Les marques gravées au sol brillaient encore faiblement, signatures des Six Dieux Majeurs. Il savait.

Il rédigea un rapport et l’envoya au roi. Cinq jours plus tard, un cavalier épuisé arrivait à la cour.

La lettre fut lue à haute voix dans la salle du trône :

Majesté,

Il s’agit bien d’une intervention divine. La magie ancestrale plane sur la ville et les marques sacrées couvrent la grande place. Les habitants m’ont parlé d’une jeune fille aux cheveux rouges, Kahalya. Orpheline. Chassée. Elle portait des lentilles marron — le lunetier me l’a confirmé. C’est son père qui les lui acheta, il y a quinze ans. Son ancien employeur affirme qu’elle vit à Sho, en montagne, et travaille dans un restaurant. Je pars immédiatement. Que les Dieux nous guident.

Firen, Grand-Duc du Nord.

Le roi resta longtemps silencieux.

Puis, pour la première fois depuis des années, il sourit.

Ce soir-là, il partagea le repas avec la reine Amalie. Et lorsqu’il la rejoignit dans leur lit, il ne porta pas sa couronne.

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