Chapitre 2 Les racines de l’exil

Chapitre 2 : Les racines de l’exil

Les années passèrent comme les vents sur les cimes de Zoha : douces parfois, d’autres fois tranchantes. Kahalya grandissait, nourrie par le silence des souvenirs et la promesse contenue dans une lettre fanée. Elle poursuivait, chaque jour, sa routine sacrée : l’ascension vers la montagne, le panier vide au bras, pour y cueillir l’ayora, cette plante fragile dont les vertus, si modestes soient-elles, avaient jadis apaisé les souffrances de son père.

Elle distribuait les infusions comme on offrirait une bénédiction. Aux anciens qui toussaient sous la pluie, aux enfants dont les ventres criaient famine, aux mères trop amaigries pour sourire. Tous l’appelaient affectueusement la Fille aux Mains Dorées, tant sa bonté semblait illuminer les ruelles les plus sombres.

À ses quinze ans, elle troqua son enfance contre un tablier au bar local. Elle y servait les boissons avec grâce, sans jamais courber l’échine. Son regard profond, malgré les lentilles marron qui masquaient ses iris dorés, captivait. Mais sa beauté devenait fardeau, attirant des regards voraces et des paroles qu’elle repoussait avec la dignité d’une reine.

Le patron, un homme au cœur rugueux mais juste, la protégeait comme une nièce. Conscient des difficultés qu’elle avait surmontées, il augmenta son salaire. Avec cette générosité, elle n’eut plus besoin de puiser dans l’héritage laissé par son père. L’économie devint un jeu de patience, chaque Koan mis de côté était une graine plantée pour un avenir qu’elle espérait libre.

Tous les soirs, elle se rendait au Temple des Six Dieux Majeurs. Elle y priait avec ferveur : pour la santé des pauvres, pour la paix dans le royaume, mais surtout pour que jamais le roi ne la découvre. Elle offrait ses prières à Coha la verdoyante, à Joha l’éclatante, à Aske l’ombre bienveillante, à Gon le fluide, à Bia l’ardente et à Noo, le maître des vents.

Mais le destin, capricieux et cruel, frappa sous la forme d’un prétendant insistant. Un garçon du quartier, aveuglé par l’image idéalisée qu’il avait d’elle, alla jusqu’à la suivre. Ce qu’il vit à travers la fenêtre — deux cadres noirs, poussiéreux, trônant dans un salon délabré — le plongea dans l’incompréhension. Dans le royaume, les cadres d’ébène signifiaient une chose : deuil. L’apparence soignée du jardin n’était qu’un masque posé sur une misère soigneusement cachée.

L’information remonta jusqu’au maire. Le lendemain matin, il se présenta au bar.

— Bonjour Kahalya, lança-t-il d’un ton mielleux. Pardonne ce dérangement. On m’a rapporté… des détails troublants. Ta maison, des cadres noirs, une certaine négligence…

Le silence tomba dans l’auberge. Tous suspendirent leur souffle.

— Je souhaite donc visiter ton domicile pour m’assurer de la véracité de ces faits, poursuivit-il, le regard perçant.

Kahalya, luttant contre la panique, esquissa un sourire :

— Bien sûr. Mais puis-je savoir qui vous a donné ces informations ? La fenêtre de mon salon donne sur le jardin. Si l’on a vu l’intérieur… c’est qu’on s’est introduit sur ma propriété.

Le maire ne répondit que par un haussement d’épaules :

— Peu importe. C’était un de ces jeunes gens épris de toi. À plus tard.

Puis il s’éclipsa.

Kahalya rentra chez elle en courant, brisée de rage. Le verre qu’elle tenait se fracassa dans sa main. Elle en ramassa les éclats, tremblante, puis partit prévenir son patron. Il lui prit les mains, l’écouta, la rassura.

— Tu n’es pas seule, lui dit-il. Pas tant que je suis là.

Mais le soir venu, alors que le maire, accompagné de citoyens curieux, visita sa demeure nettoyée de fond en comble, il constata qu’elle était encore mineure. Selon une vieille loi, elle ne pouvait vivre seule. Sauf si elle payait une amende de… quarante mille Koans.

Le verdict tomba comme une lame. La somme était insensée. Elle n’avait que dix mille Koans. Le maire, avide, ordonna la confiscation de tous ses biens : la maison, les meubles, même les économies de son père.

Expulsée. Ruinée. Orpheline de tout.

Mais les plus pauvres, ceux qu’elle avait toujours aidés, l’accueillirent dans leur campement. Ils partagèrent avec elle leur pain dur, leur soupe maigre et leur chaleur humaine.

Le lendemain, elle retourna au bar. Tous la fixèrent. Le patron, malgré ses promesses, lui dit :

— Tu effraies les clients. Tu es devenue une paria. Je suis désolé.

Il lui tendit une enveloppe.

— Voici ta paie. Et un peu plus. Vois ça comme le dernier cadeau d’un ami. Maintenant pars.

Elle partit, le cœur en feu, les yeux vides.

Les sans-abris l’attendirent au camp. Lorsqu’elle demanda à rester, ils ne posèrent pas de questions. Ils déménagèrent ensemble dans les montagnes, loin des jugements.

Quelques jours plus tard, elle trouva un emploi dans la ville voisine de Sho. Là-bas, les gens l’accueillirent avec une chaleur sincère, qu’ils soient riches ou pauvres. Le premier jour, elle acheta des lentilles de contact vertes, mais bientôt, elle se confia à ceux qui l’avaient acceptée sans condition. Elle leur révéla la vérité sur ses yeux dorés.

Personne ne la jugea. Tous jurèrent de garder son secret jusqu’à la mort.

Grâce à ce nouveau départ, Kahalya put louer une petite maison à deux étages. Elle accueillit chez elle des jeunes en détresse, les aida à trouver un travail. Elle n’était plus seule. Sho tout entière l’avait adoptée.

Lorsque la maire de Sho apprit l’injustice dont elle avait été victime, elle envoya une délégation à Soo. À leur retour, ils racontèrent que la sécheresse s’était abattue sur la ville comme une malédiction. Mais elle s’arrêtait net à la frontière de Sho. Le sol y était fertile, comme béni.

Le peuple pria pour que la sécheresse n’avance pas, tandis que la maire, dans un geste de compassion, ordonna l’envoi de vivres à la ville maudite.

Et Kahalya, celle qui n’avait plus rien, devint l’âme invisible d’une cité florissante.

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